Bien aimés dans le livre, dans le cadre de l’animation de votre blog littéraire préféré, – quoi ? Je sais que c’est le cas – j’ai décidé de laisser la plume ou plutôt le clavier à des écrivains et acteurs du monde du livre en général afin qu’ils partagent avec vous leur joie de la lecture.
Ainsi, dans ce article, l’artiste slameur Djamile Mama Gao auteur de « Corps-raccords » partage avec vous, sa lecture de » Noire Venus » de l’écrivaine
béninoise Carmen Toudonou.
C’est pour vous; prenez, lisez, partagez !!!
Notes de lecture Noire Venus de Carmen TOUDOUNOU Cotonou (Bénin)Les Éditions du Flamboyant,2015, 88 p.
Le ronflement du moteur digérait chaque mètre que le car mâchait au fur et à mesure. Et moi, qui, pour la première fois, faisait un voyage en première classe dans un « Confort Lines », je respirais et vivais les risques que pouvait prendre un chauffeur qui me semblait tellement certain de son expertise, qu’il parlait (tournant constamment la tête à droite pour fixer son co-conducteur) plus qu’il ne conduisait.
Et quand une fois, deux fois, il freina à l’improviste devant des dos-d’âne trop cois pour ne pas être suspects, mes yeux se résignèrent. Mon cœur aussi. Ma voix intérieure surtout.
Il vaut mieux mourir la poésie dans le cœur que la peur dans les yeux. Alors, mes doigts éventrèrent mon sac, posé entre mes jambes. Plusieurs livres y somnolaient, dépités sans doute qu’ils aient dû m’attendre si longtemps (seulement trente minutes après le départ).
« L’orgasme sans tabou » ? (que voulez-vous, il faut bien que je pourvoie à ma réputation de pudique en construction voyons !). Non ! Ce n’est pas encore le moment.
« Le journal d’Esclamonde » ? Oh non ! C’est un roman ! Ni non té kpèdé wè. Je suis poète moi ! Alors oui !!!! Quoi de plus moral que de rendre à mes doigts ce qui relève de la méditation. Alors j’aperçois. Je happe. Je serre. Je caresse. Je zyeute. Je l’imagine nu, alors je l’ouvre. Et je pénètre. Non, je l’entre. Et qui me cueille ? Gandhi ! (donc même pour baiser là, il faut faire la paix quoi !)
Et comme c’est le commencement, j’entame la « Genèse ».
D’emblée la belle se trempe d’amour. Et si la luxure a toujours été divine, elle en sème « aux quatre vents » du poème en se réappropriant presque orgueilleusement le fait d’avoir goûté au fruit tendu (au sens polysémique du mot « tendu »). Il y a là quelque chose comme un refus de stigmatisation, comme une volonté de décomplexer l’instinct féminin par rapport au fardeau moral d’avoir désobéi et faire désobéir. Or, pourquoi s’en vouloir d’avoir offert à l’humain sa plus jouissive source de vie ? Et puis d’ailleurs, qui aurait pu prétendre à une quelconque éternité si, Eve ne s’était pas éprouvée du doux leurre de la fécondité ?
Alors Carmen, mord. Elle mord la pomme (la chair de l’aimée) comme un poupon mord les seins de sa mère. Et l’affluent de désirs se fermentent en chaque vers.
Parfois le ton change de lit pour devenir plus impulsif, plus brusque, plus « mais prends-moi voyons ! », presque groggy mais essentiellement dans l’intention.
Et sur son (l’auteure) corps ivre, livré, l’amant se délivre, ou peut-être serait-ce elle qui le délivre ? De quoi ? Sa timidité ? Sa nonchalance ? Sa virilité ? Ou son impudence ?
Ce qui est certain, c’est que « dans cette étrange guerre des sens », seule la passion remportera.
Mais d’où lui vient ce réflexe descriptif ? D’une envie vive de figer les instants ? Ou d’un besoin de les exorciser ? Parce qu’il ne faudrait pas se laisser duper par le caractère lascif des poèmes de Carmen, il y a du chagrin (beaucoup même) et du remords dans ces parts de mots charnels.
A chaque poème, se précise l’absence, au sens du délaissement, comme du renoncement ; au sens aussi du manque, ou de la perte (assumée le plus souvent). Et c’est de ce champ de ruines, de larmes, que l’auteure tente de tisser des jeux phoniques, qui renseignent sur l’intensité de son affection. Et chaque fois, toujours plus accru. Elle aime, sans l’être. Et parfois, c’est elle qui est aimé plus qu’elle ne croit le mériter. Alors, à défaut de songer à incarner la bravoure d’Andromaque, profère-t-elle : « ne t’attache pas ! » (Renonce-t-elle ?)
Moi, non ! Je m’attache au « Jais » (comme à mon siège parce que affaire de car ! Hum) qui ne me ressemble pas physiquement (je suis jaloux qu’il y ait un type atypique d’homme qu’une poétesse recherche…snif snif ! pauvre de nous autres.).
Et puis, « Calligramme ». Et puis, « Conjugaison ». Et puis… le « paradoxe » des premiers vers de la page 34. Et puis, l’apostrophe (fantaisiste ?) de la page 39 : ––mon meilleur instant de pause je crois, ou rêvais-je ? Et puis donc, le questionnement de désillusion de la page 43. Et puis… La facilité des mots, des mots pour parler le « sourire » de l’enfant. Et puis… ce qu’il faut de simple pour parler l’importance du regard, des « yeux ». La poésie de Carmen nous réconcilie avec sa façon de s’attacher profondément (peut-être trop parfois), mais aussi à ses caprices de libertine (volage ?).
On est confronté à un champ lexical fougueux. Les lésions de l’amante sans-gêne, et de l’amoureuse, deviennent les plaintes de la mère, face aux craintes du monde.
O oui, Carmen TOUDONOU semble être de celles qui rêvent le monde le cœur emplit d’angoisses. Et bien qu’elle sache que la nuit s’endort sur les lauriers d’un soleil qui attend d’éclore, elle reste méfiante, face à la sérénité absolue de ce qui va trop habituellement. Ou trop machinalement. Alors, elle se remémore « le quartier lointain » (pourquoi ai-je pensé à « latin », un peu comme pour remettre en cause à la manière de nombre de gens ce titre fanfaron dont on se tague depuis des décennies ?) ; tout en fredonnant l’« acre oraison » qui nous rend nostalgique…
Beaucoup d’innocence. Non pas par naïveté (ou si ?), mais surtout par optimisme exacerbé me semble-t-il.
Elle se positionne quelque peu à l’antipode des préceptes activistes actuels, et l’auteure dévoile son consentement à être soumise, à être sous domination masculine, tant que le méprisant et méprisable machisme ne s’en mêle pas, et que seul, seul l’appétit l’un de l’autre les submerge.
Le ton ? Direct. Peut-être parfois, un peu trop. Et brutal aussi. Parfois ne pas chercher à embellir est encore plus beau.
A propos, quoi de plus beau, qu’une mère qui en aime une autre ? Ah oui ! La maternité. Quelle place pour la maternité dans l’œuvre de Carmen ? D’abord aux premières pages, avec l’hommage à sa mère : « le chef d’œuvre de Dieu, c’est le cœur d’une mère », puis dans « Sourire »; poème dans lequel, c’est la mère en elle qui observe, qui contemple, qui est subjugué par toutes les petites dimensions propres aux marmots, comme tout auteur devient contemplateur nouveau des extrémités de son œuvre.
Le style ? Axé sur la spontanéité comme si l’auteure ne se questionnait plus après avoir largué les mots qui lui traversent les doigts.
Les figures de répétitions semblent être la prédilection de Carmen. (Des mots, et des expressions reviennent dans plus d’un poèmes d’ailleurs ! Propice ? Avantageux ?)
Elle qui se situe entre anadiplose et anaphore. Ils affluent.
D’ailleurs j’aime cette course dans « Mon aimée-absence. ». Il y a comme un déchainement, une cascade, un déboulement de pierres tombant d’une montagne. Les vers sont succincts. Les vers se succèdent (évidence ça. Ai juste voulu trouver un répondant à ma phrase précédente.) comme pour exprimer la furie, la véhémence que pourrait entretenir deux amants qui s’empressent de tirer un coup rapide. Ça tombe. Ça dégringole. Et j’ai aimé suivre ce flot. Je me suis plu à lire aussi vite que ça allait. Déjà que je lisais à haute voix chaque poème, dans le car, des coups d’œil persistants allaient et venaient. Mais là, c’était encore plus accru, car je lisais selon l’urgence, selon le tempérament du texte, jusqu’à l’essoufflement, jusqu’à la chute. Et le poème s’éteignait autant. J’ai aimé cette course.
« Noire venus » par contre, m’a paru moins palpitant. Caractérisé par des giclées, je ne suis pas parvenu à être épris d’emblée de l’ensemble. Des morceaux m’ont enchanté. Mais d’autres je les ai frôlés avec moins d’enthousiasme. Alors, finalement, j’ai décidé de relire. Peut-être était-ce moi qui étais pris de fatigue ? Mais cette fois, j’ai fais le jeu de la lecture à sens inverse. Commencer le poème là où il se termine. J’ai mieux aimé. Même si mon sentiment n’a pas beaucoup changé. On y sent la béninoise fortement férue de culture française. Peut-être est-ce mes lacunes en ce sens, qui m’ont joué des tours ? Ah oui ! Sans doute ! On y sent un effort de parallèle des mondes, et une tentative de sédimentarisation à nos réalités socioculturelles par endroit. Ode à la femme (en soi ?).
Alors, que dire d’autres ? Sa poésie touche au cœur avec des mots simples. Mon vœu serait qu’elle s’enfonce dans le chœur de lecteurs qu’elle aura et que la VENUS s’épanouisse telle une fleur.
Djamile MAMA GAO
Ce 17 – 10 – 15
06 h 57’
Togolais et malien par ascendance, Djamile Mama Gao est originaire de Sori au Bénin. Artiste Slameur de profession, il se veut également écrivain et journaliste culturel. Corps-raccords est son premier recueil de poèmes.