Chers lecteurs et lectrices, dans le cadre de l’animation du blog, j’ai demandé à des écrivains et acteurs du livre de venir partager avec vous leur joie de la lecture. Recevez aujourd’hui l’écrivaine béninoise Sophie Adonon qui nous présente Claude Gueux, un récit du grand Victor Hugo.
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Bonjour Eurydoce,Je profite de ce moment de répit pour me replonger dans un livre, autre que mes manuscrits. Je tiens à partager avec vous mes impressions, suite à la lecture lointaine, mais marquante du livre » Claude Gueux », de Victor Hugo.
» Claude Gueux » est un ouvrage d’à peine 32 pages, écrit par Victor Hugo en 1834. Il lui est inspiré de faits réels. Mais la morale de l’histoire, hormis la peine de mort, c’est cette sensation de pouvoir situer le contexte à l’époque contemporaine. Aussi verra-t-on que comparativement au XIXè siècle, la société (qu’elle soit française ou d’ailleurs) peut vous transformer un honnête homme aux abois en criminel, candidat à la décapitation ; ce pas est vite gravi en 1834.
De quoi parle le livre » Claude Gueux » ?
L’histoire de Claude Gueux est fondée sur des faits réels. Déjà le titre est très évocateur et annonce la couleur avec le choix du patronyme du principal personnage » Gueux ».
C’est ainsi que Claude Gueux, pauvre ouvrier, journalier, vivant à Paris avec sa compagne et leur enfant venait à manquer un hiver de travail.
Pour éviter à sa petite famille de mourir de faim et de froid, Claude Gueux vole, vol qui permit au foyer d’avoir du pain et de se chauffer dans un hiver glacial pendant trois jours. Ce vol à l’étalage, un simple délit, lui vaut cinq ans de prison.
Claude Gueux est un homme à fort caractère. Ainsi, au sein de la prison, le voit-on s’imposer comme meneur, admiré et respecté par ses codétenus.
Évidemment, ce sous-chef dans son pénitencier déplaît on ne peut plus, au directeur de l’établissement carcéral, nommé M.D.
Ce dernier (un bien-pensant) est doué pour apprendre aux prisonniers à avoir honte des infractions commises afin de se réapproprier à nouveau les règles de la société…
Ce mécanisme rigide correspond à certains détenus, mais pas à notre Claude Gueux qui garde une dent contre la société qui l’a affamé, faute de travail au point de le transformer en voleur, pour finalement le mener derrière les barreaux. Fatalement, il devient la bête noire du directeur, M.D.
Claude Gueux qui a connu la faim en liberté porte en lui un appétit insatiable constamment désireux d’être assouvi. Il a toujours faim. Et ce n’est certainement pas la pitance attribuée aux prisonniers qui le conduira vers la satiété. Un jour, semi-alimenté et exploité, Claude est abordé par Albin, un jeune détenu qui lui propose de manger une partie de sa nourriture. Claude Gueux en pleure d’émotion. Quotidiennement, Albin prend l’habitude de partager son repas avec Claude Gueux. La détention serait moins pénible pour Claude, si M.D ne s’en était pas mêlé. Tout ce qui peut adoucir la vie de Gueux, est très mal perçu par le directeur. Promptement, il sépare Claude Gueux et Albin. Ce dernier est envoyé dans une autre prison.
L’on peut facilement imaginer la désolation de Claude qui n’a de cesse que de réclamer le retour son ami dont il vit la mutation comme une injustice.
Entre parenthèses, Victor Hugo dénonce à travers ce chapitre, les conditions de vie des prisonniers qui sont extrêmement mal nourris, tout en étant corvéables à merci dans l’atelier et sous-payés en nature (un peu de pain et de la viande) par l’administration pénitentiaire.
Pour en revenir à Claude Gueux, subséquemment au coup pendable que lui a asséné le directeur, M.D, il le supplie vainement de lui rendre Albin. M.D n’en démord pas et se cantonne à son refus catégorique.
Claude Gueux mûrit une riposte à la hauteur de ce nouvel acte qui s’apparente à de la torture :
Il décide de faire juger M.D par le peuple, son peuple, ses codétenus. Il improvise un tribunal, une espèce de Cour d’Assises composée des prisonniers et habilitée à juger le crime (lui enlever le pain de la bouche en déplaçant Albin) dont M.D s’est rendu coupable à ses yeux. Claude Gueux en est personnellement le juge ! Cette » Cour d’Assises » condamne le geôlier, M.D à mort. Sans traîner, le faux juge exécute la sentence, en assassinant le directeur à coups de hache. Comme convenu avec ses compagnons d’infortune, il essaie de mettre fin à ses jours à l’aide d’une paire de ciseaux, mais se rate.
Extrait illustratif :
«Le directeur était seul comme d’habitude.
Il entra avec sa figure joviale, satisfaite et inexorable, ne vit pas Claude qui était debout à gauche de la porte, la main droite cachée dans son pantalon, et passa rapidement devant les premiers métiers, hochant la tête, mâchant ses paroles, et jetant çà et là son regard banal, sans s’apercevoir que tous les yeux qui l’entouraient étaient fixés sur une idée terrible.
Tout à coup il se détourna brusquement, surpris d’entendre un pas derrière lui.
C’était Claude, qui le suivait en silence depuis quelques instants.
— Que fais-tu là, toi ? dit le directeur ; pourquoi n’es-tu pas à ta place ?
Car un homme n’est plus un homme là, c’est un chien, on le tutoie.
Claude Gueux répondit respectueusement :
— C’est que j’ai à vous parler, monsieur le directeur.
— De quoi ?
— D’Albin.
— Encore ! dit le directeur.
— Toujours ! dit Claude.
— Ah çà ! reprit le directeur continuant de marcher, tu n’as donc pas eu assez de vingt-quatre heures de cachot ?
Claude répondit en continuant de le suivre :
— Monsieur le directeur, rendez-moi mon camarade.
— Impossible !
— Monsieur le directeur, dit Claude avec une voix qui eût attendri le démon, je vous en supplie, remettez Albin avec moi, vous verrez comme je travaillerai bien. Vous qui êtes libre, cela vous est égal, vous ne savez pas ce que c’est qu’un ami ; mais, moi, je n’ai que les quatre murs de ma prison. Vous pouvez aller et venir, vous ; moi je n’ai qu’Albin. Rendez-le-moi. Albin me nourrissait, vous le savez bien. Cela ne vous coûterait que la peine de dire oui. Qu’est-ce que cela vous fait qu’il y ait dans la même salle un homme qui s’appelle Claude Gueux et un autre qui s’appelle Albin ? Car ce n’est pas plus compliqué que cela. Monsieur le directeur, mon bon monsieur D., je vous supplie vraiment, au nom du ciel !
— Impossible. C’est dit. Voyons, ne m’en reparle plus. Tu m’ennuies…
Claude toucha doucement le bras du directeur.
— Mais au moins que je sache pourquoi je suis condamné à mort. Dites-moi pourquoi vous l’avez séparé de moi.
— Je te l’ai déjà dit, répondit le directeur, parce que.
Et, tournant le dos à Claude, il avança la main vers le loquet de la porte de sortie.
À la réponse du directeur, Claude avait reculé d’un pas. Les quatre-vingts statues qui étaient là virent sortir de son pantalon sa main droite avec la hache. Cette main se leva, et, avant que le directeur eût pu pousser un cri, trois coups de hache, chose affreuse à dire, assénés tous les trois dans la même entaille, lui avaient ouvert le crâne. Au moment où il tombait à la renverse, un quatrième coup lui balafra le visage ; puis, comme une fureur lancée ne s’arrête pas court, Claude Gueux lui fendit la cuisse droite d’un cinquième coup inutile. Le directeur était mort.
Alors Claude jeta la hache et cria : À l’autre maintenant ! L’antre, c’était lui. On le vit tirer de sa veste les petits ciseaux de « sa femme », et, sans que personne songeât à l’en empêcher, il se les enfonça dans la poitrine. La laine était courte, la poitrine était profonde. Il y fouilla longtemps et à plus de vingt reprises en criant — Cœur de damné, je ne te trouverai donc pas ! — Et enfin il tomba baigné dans son sang, évanoui sur le mort.
Lequel des deux était la victime de l’autre ? »
Claude Gueux blessé, subit périodiquement des interrogatoires. Il fut jugé, condamné à mort et guillotiné, cinq mois après son crime.
Illustration :
«Il monta sur l’échafaud gravement, l’œil toujours fixé sur le gibet du Christ. Il voulut embrasser le prêtre, puis le bourreau, remerciant l’un, pardonnant à l’autre. Le bourreau le repoussa doucement, dit une relation. Au moment où l’aide le liait sur la hideuse mécanique, il fit signe au prêtre de prendre la pièce de cinq francs qu’il avait dans sa main droite, et lui dit :
— Pour les pauvres.
Comme huit heures sonnaient en ce moment, le bruit du beffroi de l’horloge couvrit sa voix, et le confesseur lui répondit qu’il n’entendait pas. Claude attendit l’intervalle de deux coups et répéta avec douceur :
— Pour les pauvres.
Le huitième coup n’était pas encore sonné que cette noble et intelligente tête était tombée… »
Point de vue personnel : Victor Hugo dénonce par le biais de cet ouvrage » Claude Gueux », le système carcéral de son époque, les travers de la société qui vous broient, allant jusqu’à transformer un honnête homme travailleur, taraudé par la faim, en voleur, puis en assassin.
Guillotiné pour avoir volé du pain… L’homme politique engagé qu’était Victor Hugo a toujours plaidé contre la peine de mort (cf Le Dernier jour d’un condamné, de Victor Hugo). Cette œuvre reprend en partie ce plaidoyer.
Le sujet du roman est rude, inspiré de faits réels, loin d’une comédie. Mais à bien y méditer, il est concret et universel car cette société injuste de 1834 est-elle si différente de celle d’aujourd’hui, abstraction faite de la peine de mort, abolie dans la plupart des pays ?
La misère et la fracture sociale ne sont toujours pas éradiquées. Et un homme acculé par le dénuement est susceptible aujourd’hui comme hier de basculer du mauvais côté du versant.
J’en déduis pour conclure que le livre »Claude Gueux » est toujours d’actualité et devra nous pousser à réfléchir sur la nécessité d’œuvrer pour le mieux vivre ensemble dans une société égalitaire et solidaire…
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Sophie Adonon est une écrivaine béninoise en France. Elle s’est rendue célèbre surtout à travers ses quatre romans policiers de la série des enquêtes du commissaire Aza. ( Le sourire macabre, Le plat qui se mange froid, Cœur insomniaque et Paroles d’immondices.) Sa bibliographie sans cesse croissante comprend aussi Pour une poignée de gombos , Plume d’Or 2013 de l’Association des Écrivains et Gens de Lettres du Bénin et Monarque Hangbé : panégyrique d’une reine biffée.
Avez-vous déjà lu de ses ouvrages?
Et à propos de Claude Gueux de Victor Hugo, que vous inspire ce roman que Sophie Adonon nous présente ?
Compte rendu bien écrit à la Hugo avec un fond maternel. J’ai lu le résumé dans mon lit. Et juste après, j’ai lancé le téléchargement du livre que je lirai le week-end qui vient si j’y arrive. Merci à Sophie pour son partage et merci à Eurydoce, l’homme qui lit sans arrêt. Du courage dans tout ce que tu fais.
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Merci pour ta visite, Casimir. Mais ici, c’est aussi chez toi. Disons donc qu’on est ensemble pour le meilleur et pour le lire.
Car le meilleur reste évidemment à Lire.
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