Ghislain auteur du blog Racont’art de lecture nous offre sa lecture de Un os dans la gorge des dieux de Gaston Zossou.Délicate attention! Prenons et lisons.
« Les dieux n’existent que par le zèle de leurs fidèles ici-bas » p.51
Lui, en dehors de sa facette de politique et de sa remarquable grandiloquence chaque fois qu’il devrait donner de la voix, je ne le connaissais pas autrement. Mais j’entendais dire qu’il est aussi écrivain. Maintenant que je l’ai lu, au moins une fois, je le confirme. Gaston Zossou, l’auteur, à travers son roman Un os dans la gorge des dieux, Riveneuve éditions, Paris, 2012, attire dans une satire épicée de réalités, à première vue anodines sous les cieux de l’Afrique noire, l’attention du lecteur sur des faits sociaux relevant d’un surnaturalisme dont les entrailles sont réservées aux initiés, aux adeptes, aux dignitaires, aux prêtres… Subdivisée en quinze chapitres, tous aux titres à la fois évocateurs qu’excitatifs, l’œuvre est écrite sur deux cent deux pages. Si, pour qui connait les milieux religieux traditionnels africains, la délicatesse du sujet exige prudence et circonspection, l’auteur quant à lui, n’a pas lésé sur les moyens littéraires pour mieux mettre le doigt dans cette plaie puante entretenue sous le couvert de la conservation de l’héritage culturel et cultuel du passé.
Un western-vodoun qui oppose des dieux, leurs adeptes à un humain presque non ordinaire.
Tadjin, de son vrai nom So-glo, est un jeune homme d’environ trente ans. Après un séjour au pays Yorouba où il a eu le temps d’affûter ses armes occultes dans le couvent du dieu Shango, dieu du tonnerre et de la foudre, il revient chez lui pour se faire une place parmi les dignitaires de ladite divinité. « Il avait donc été imprégné de la source la plus pure. Ce rouquin est un initié plein, un prêtre de grade terminal ». Mais hélas ! Ceux-ci le jugent immature et le traitent d’un moins qu’initié à travers un test humiliant. Une infamie que le rouquin n’était pas prêt à digérer. Après avoir fignolé avec parcimonie sa vengeance, Tadjin choisit défier Shango et ses adeptes en leur antre à l’apothéose de la grande cérémonie annuelle où se révèle la divinité sur la grande place publique.
« […]qu’en plus de s’être tenu droit au milieu de la prosternation générale, il avait accompli trois gestes injurieux à l’encontre de Shango ; qu’il avait comprimé ses lèvres fermées et les avait fait péter en chassant l’air de la bouche ; qu’il avait balayé le dieu du regard, en fermant les yeux ; qu’il avait rallongé sa bouche et émis un crépitement répugnant de la salive, en aspirant l’air entre les parois buccales, la langue et le palais, qu’il avait, ce faisant, exprimé son dédainà l’endroit de Shango et l’avait défié en son antre ».p.50
Cette scène se passait sur la grande place publique du village, en présence d’une foule de spectateurs constitués de chrétiens de tous bords (catholiques, protestants et autres), des adeptes d’autres divinités telle que Ogou. Une provocation, une impertinence, une insulte inédite que Shango, du moins, les prêtres du couvent de Shango, doivent venger. Car, ce qui rend l’opprobre plus insupportable, c’est la très forte présence de dame rumeur qui encense à tous vents le moindre grain de sable de fait social en une montagne de problèmes de la place du marché en passant par les rues, sous les arbres à palabre jusqu’aux portes des couvents; mais de l’autre côté, il y a les voisins protagonistes d’en-face : les chrétiens, les uns plus virulents que les autres (catholiques modérés, protestants moins modérés et les sectes virulentes).
« Shango ne fera rien, les siens s’organiseront pour liquider l’offenseur de leur dieu, car il est leur ennemi aussi. Ils combineront des énergies et des ingrédients. Ils mettront l’ennemi en joue et le foudroieront pour le compte de leur dieu. Ils manipuleront la nature, pour donner la leçon à la communauté des hommes. » p.52
Et la rumeur eut raison ! Après plusieurs nombres de jours sacrés (3 ; 7 ; 9…), Shango ne fit rien ! Les nombreuses réunions des prêtres au couvent n’ont rien donné. Mieux, pour tenter le tout pour le tout, ils ont sollicité le renfort, quoi que cela leur ait coûté,des dignitaires de la divinité Ogou ; mais toujours rien. Même le serpent préparé envoyé pour finir avec Tadjin a été éventré, décapité et sa tête exposée en face du couvent. Mieux, pour faire preuve d’exubérance de sa témérité, Tadjin vient exécutersur le lieu de son impertinence, la place publique, la « danse-sacrilège ». Sur le rythme funéraire annonçant la mort du grand prêtre Ogou, il dansa. Il a fini le tableau de la provocation et de l’humiliation à toute la race de ceux qui se réclament adeptes des divinités.
« Le rocher inamovible qui se rit du temps » a cédé face à une masse fessière !
« Les dieux se gonflent des exhalaisons de nos peurs, c’est là leur secret » p.200
Trois ans passèrent. Mais la blessure morale n’a pas pu être effacée par l’océan du temps au rythme constant. Les grands prêtres de Shango, en particulier Shangodara et Olashango, pour faire feu de tout bois, ont été dans une localité voisine pour solliciter les services d’une femme de joie qui a eu pour mission de ramener la ceinture de sécurité occulte, bouclier inébranlable de Tadjin. Mission réussie. A la fin de cette même journée, Shango l’éventra alors qu’il s’acharnait à rassembler les ingrédients pour refaire sa ceinture emportée par la femme. Les adeptes, prêtres et autres dignitaires de la divinité Shango, à travers rituels, chants et danses, ont loué leur dieu car « Shango était vraiment leur dieu ».
Peinture del’errance de la conscience religieuse africaine
Le principal thème abordé dans ce roman est la religion. Elle est présentée au lecteur sous un angle qui révèle les dessous quelque peu caractéristiques du leurre ou d’une fourberie entretenue. Selon Emile Durkheim, un des pères fondateurs incontestés de la sociologie moderne, « une religion est un système solidaire de croyances et de Pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale […] tous ceux qui y adhèrent » (Durkheim, Les formes, p.65).Donc l’objet de base de la religion et qui unit « tous ceux qui y adhèrent », ce sont les croyances et les pratiques. Et ce sont justement ces dernières qui manquent aux différentes entités présentes, j’en ai identifiées trois, dans l’œuvre. Il y a les adeptes du christianisme, ceux des religions endogènes et la rumeur.
- Le christianisme (pp 6-9): il est à lui seul subdivisé en trois autres parties belliqueuses entre elles. Il y a d’abord l’église catholique, « le dinosaure de la grande place [qui] paraissait sûr de l’inviolabilité de sa peau de vieux pachyderme ». Elle ne s’agite pas, n’intervient pas ou ne donne pas n’importe comment ses points de vue. Il y a ensuite, « certes, moins florissante que sa cousine germaine, plus jeune qu’elle, défiante vis-à-vis d’elle, qui ronchonne contre son aînée, fit de sa mauvaise humeur vocationnelle, son nom officiel, l’église protestante », moins sereine que l’église catholique. Et, enfin les églises évangéliques, « une multitude de groupuscules se réclamant de Christ aussi et qui travaillaient pour gagner leur propre place, par un positionnement ingénieux »
- Les religions endogènes. Elles sont les plus anciennes et ont vu naître toutes les autres religions qui semblent disputer avec elles l’atmosphère religieux. Elles sont caractérisées par un polythéisme à des divinités aussi nombreuses qu’aux pouvoirs diversifiés. « Chacune avait ses rites, ses litanies, ses couvents et un territoire propre»12. Les plus présentes sont : Shango, dieu de tonnerre et justicier organisé, et Ogou, dieu du fer et moins organisé que Shango. Les rapports de force et de concurrence qui les opposent sont moindres à comparer à ce qui se passe au sein des chrétiens.
- La rumeur : elle est plus présente que les deux premières entités. Elle fait office de « médias sociaux ». Même si l’une de ses principales caractéristiques est la démesure et des affirmations basées sur des incertitudes, l’auteur lui a donné une place de choix. C’est par exemple elle qui nous informe du passé et de la personne du héros. C’est aussi elle qui distribue les effets soit de vengeance chez les adeptes de Shango ou de poursuite des actes de provocation chez le héros.
Ici, la religion, au sens propre du mot, n’existe pas. Donc point besoin de s’interroger sur l’existence d’une quelconque conscience religieuse. Mais quand on se rassemble, qu’il s’agisse d’un culte au Dieu unique ou de rituels aux divinités, c’est très souvent pour satisfaire un besoin circonstanciel : on est fidèle par contrainte, intérêt ou bien pour se faire une place dans la société. Quand le prêtre catholique et les pasteurs protestants et évangéliques ont formellement interdit aux chrétiens de se rendre sur la place publique pour la cérémonie dédiée à Shango, ils étaient les premiers à investir les lieux. Au-delà d’une désobéissance, on peut déjà y lire l’expression d’une infidélité, de l’absence d’une conscience religieuse.
« Les fidèles de l’Eglise Protestante se dispersèrent, sans résoudre, ce qui, sans être le dilemme de leur vie, les fit réfléchir juste sur l’épiderme de leur conscience, sans descendre dans le sous-sol rocailleux de leurs vielles âmes païennes. Cela reviendrait à dire que chacun ferait, au jour venu, comme il entendait, selon son impulsion du moment ». p.21
Mieux, une autre plus probante preuve de l’expression de l’absence d’une conscience religieuse mais plutôt de l’usage du sacré pour satisfaire les aspirations vindicatives au service de la faiblesse humaine est à noter quand les grands prêtres du couvent Shango, ceux qui incarnent même la raison d’être de ce que Durkheim appelle « croyances et pratiques » de la divinité ont été sollicité les prêtres du couvent de la divinité Ogou ; envoyer un serpent ‘préparé’ ou encore solliciter les services d’une femme de joie pour atteindre l’impertinent. Tout dans ces actes est absence de fidélité, de fermeté dans la fois, de conscience religieuse.
Mais on ne peut ne pas reconnaître l’importante place de la parole donnée dans nos traditions africaines. Ceci est illustré par la mort que s’est donné le grand prêtre de la divinité Ogou pour la simple raison que la promesse de tuer Tadjin n’a pas pu être honorée.
Aucune religion ne peut ainsi donc se réclamer l’exclusivité ou la paternité d’un fidèle. Puisque toutes autant qu’elles sont, elles se partagent les mêmes fidèles ou adeptes. Le regard que fait porter l’œuvre sur la conscience religieuse africaine est une peinture qui peut laisser pantois le lecteur lambda, mais Gaston Zossou n’a fait qu’une projection du quotidien des ‘fidèles ou adeptes’ africains.
Le roman a commencé par une double description du milieu physique et de l’atmosphère religieux. Ce dernier est discuté par deux grands ensembles protagonistes : le christianisme et les religions endogènes :
« On ne guérit de rien, on porte ses infirmités clopin-clopant jusqu’à la fin … »p.51
« Dada Sègbo est l’énergie première et le souffle éternel. Il loge seul dans la boucle du temps. Tous les autres trucs sont de malicieux sous-traitants de l’industrie cosmique, ils sont les démarcheurs roublards qui grouillent entre la terre et les airs, entre les mondes visibles et invisibles » p.52
Quand vous aurez fini de lire cette œuvre, ce ‘classique’ si je puis me permettre, vous vous demanderez sûrement comme moi, si vraiment, nos pratiques dites religieuses ou ancestrales conduisent vraiment à l’adoration du Dieu unique !