Chers amis, la série des notes de lecture publiées par des écrivains et acteurs du livre se poursuit. Aujourd’hui, c’est Carmen Toudonou écrivaine béninoise qui est l’invitée de nos saveurs livresques. Elle nous fait savourer un classique de la littérature française : la dame aux camélias de Alexandre Dumas Fils. A nous les effluves et le gout!
La variété des mots pour les désigner atteste de l’intérêt qu’elles n’ont jamais arrêté de susciter auprès du public, à la fois scandalisé et pourtant fort intéressé de connaître les détails de la vie de ces femmes comme en marge de la société, ces femmes du demi-monde comme dit Alexandre Dumas Fils. On les appelle catins, prostituées, tapettes, putes (ou putains), péripatéticiennes, tapineuses, entraîneuses, horizontales, courtisanes, geishas, hétaïres, call girls, et j’en oublie des plus euphoniques, et toutes ces terminologies ramènent à une même terrible réalité : le commerce du corps.
Voilà donc l’objet du premier roman de Alexandre Dumas Fils : La dame aux camélias. C’est l’histoire de Marguerite, une fille entretenue comme il est dit dans le livre. Ce pourrait être aussi celle de la Nana de Zola, ou encore celle de Boule de Suif de Guy de Maupassant. Mais la différence ici, c’est que l’irrégulière aime. Elle aime un jeune homme, Armand Duval qui en est aussi profondément épris. Transcendés par leur passion, les deux jeunes gens rêvent d’une vie loin des paillettes, loin des mirages de la grande ville de Paris, des salles de jeux et de spectacle et des orgies dans lesquelles la jeune courtisane noie sa vie débridée. Ils s’exilent donc en rase campagne et goutent trois semaines de vie idyllique, avant d’être rattrapés par la réalité, c’est-à-dire les conventions et les convenances qui ont ici les traits du père du jeune amant…
Ecrit d’une traite (en un mois), le livre se lit également ainsi. Parce que ce récit est quasi autobiographique. L’auteur a vécu une passion pour une jeune courtisane à Paris, et c’est ce rendez-vous manqué qu’il a réussi à sublimer à travers les lignes de son roman. La force de l’œuvre réside dans le dépouillement quasi scientifique du récit. Dumas ne s’embarrasse pas d’une langue ampoulée, il ne cherche pas à faire sensation avec des figures de style recherchées. Pourtant, l’expression conserve une réelle élégance. Parce que ce livre est avant tout vrai. Et si le souci est bien d’aller à l’essentiel, le lecteur se sent tout de suite transporté dans cette France du 19e siècle, et il ressent bien la fièvre des opéras, il paraît voir défiler les voitures attelées aux chevaux guillerets, et les filles de joies en grande toilette, que reluquent de loin et avec dégoût les femmes du monde, d’autant plus dépitées qu’elles savent que ce sont ces toilettes et le grand train que mène ces filles qui ruinent leurs maris.
La dame aux camélias pourrait être considéré comme un réquisitoire contre la prostitution, si l’on considère la fin malheureuse de Marguerite. Mais c’est avant tout l’histoire d’un amour vrai et pur. Et pourquoi les prostituées n’auraient-elles pas le droit d’aimer parce qu’elles vendent leurs charmes ? D’ailleurs, qui est vraiment prostitué, entre la fille qui se fait payer ses charmes, et l’homme qui est prêt à financer un corps, sans aucun état d’âme, persuadé d’avoir payé le prix juste en échange d’un plaisir, se faisant ainsi complice de la nuit pour ensuite aller le cœur léger jouer les bons pères de famille ? Les cardinaux en costume et les donneurs de leçons, comme chantait Francis Cabrel…
N’ayant pas encore l’âge où l’on invente, je me contente de raconter, écrivait Alexandre Dumas Fils à l’entame de son roman. Il est rare pour un ‘’fils de… » de passer à la postérité mais le rejeton de l’auteur des Trois mousquetaires l’aura bien réussi avec ce premier roman, tout de suite devenu succès populaire à sa parution et plusieurs fois adapté au théâtre (également par l’auteur lui-même), à la télévision, au cinéma, en bande dessinée et à l’opéra avec la célèbre Traviata de Giuseppe Verdi. Pour parvenir à une telle consécration, Dumas a lu et relu le roman Manon Lescaut de l’Abbé Prévost, une œuvre plusieurs fois citée dans La dame aux camélias, et qui porte sur la même thématique de la prostituée amoureuse. Depuis, quand je pense à la belle histoire de Marguerite, je pense aussi à Manon. Et je cherche le roman de Prévost. Des fois où vous le trouverez pour moi…
Carmen Toudonou.
Carmen Toudonou est l’auteure de Presqu’une vie ( roman), de Noire venus ( poésie) , et de Le vert, le rouge et le noir : sémiologie des grades dans l’armée de terre béninoise ( essai).
Elle est très engagée pour la promotion du livre et de la lecture au Bénin. Elle est notamment initiatrice du Concours Miss littérature, le concours de » la beauté intelligente » qui vise à promouvoir les jeunes talents littéraires chez les femmes. (Re)découvrez-la dans cette interview sur Talents du Bénin.