Les serveuses de fantasmes, Jean-Paul Tooh-Tooh

Les serveuses de fantasmes, Jean-Paul Tooh-Tooh

les serveuses de fantasmesQuand on finit de lire Les serveuses de fantasmes, c’est d’abord la force métrique des nouvelles qui frappe d’emblée. Et c’est à juste titre, parlant de ce genre, qu’une auteure camerounaise pense que  « la longueur du texte ne joue pas ». Cela ressort à une évidence. Evidence d’autant plus que la plupart d’entre elles tiennent autour de deux et quatre pages. Quinze nouvelles soigneusement élaborées dans l’esthétique de l’instant. Quinze  intrigues forgées dans l’esthétique brute de l’urgence. Des nouvelles  concentrées voire concentriques qui forcent l’attention.

Ainsi donc, Jean-Paul Tooh-Tooh aurait-il lu Faulkner et fait sienne sa perspective de cristallisation ? Possible. Car, ici le créateur tisse un symbole d’intrigues dans le but de préparer ce que Baudelaire appelle l’« intensité de l’effet », un effet de surprise. Tenez ! De la première nouvelle (« Coco cocktail »)  jusqu’à la dernière (« De Laura à la chèvre »), vous ne resterez pas insensible au charme de ces actions intrigantes voire cocasses où des personnages sont souvent pris au piège d’un destin banal et cruel parfois.  Des figures pâtissières et pathético-comiques qui tentent de survivre dans un monde où tout va de travers, et forment une frange écorchée vive à qui l’on n’a pas donné le sésame de la vie. Car, il y a Ramy, homosexuel jusqu’au bout du rire, qui écume les rues de Cotonou, en compagnie de Jimmy où ils ont passé « trois lunes pleines de commerce de cul avant que les odeurs pestilentielles d’une affaire de drogue aient projeté Jimmy en prison ». Il y a  cette rombière du nom d’Alima qui se tape un miséreux pour  en faire son jouet sexuel. Il y a aussi ce père véreux qui profite du divorce avec sa femme pour se livrer à un jeu de caleçon avec sa fille…Autant de vies mutilées et hypothéquées que l’auteur arrive à mesurer justement avec son thermomètre.

C’est à la manière de Maupassant que Jean-Paul Tooh-Tooh photographie par petites touches successives, parfois avec verve et crudité les avatars d’une société aux prises avec l’emprise des donnes héritées de la modernité, sauve de l’oubli certaines tranches de vie, certains personnages impliqués, malgré eux, dans des situations inextricables qui les broient et les conduisent inexorablement vers une fin surprenante…parfois brusque. Il est clair que ce recueil d’une mince épaisseur mais gorgée de mystères, foule tant de thématiques arrimées à notre société d’aujourd’hui. Que ce soit les déviances sexuelles comme l’homosexualité, la zoophilie (dans « Cocococktail »,« Joe est un python », « , ou les abus sexuels ( « Une caresse non désirée », en passant par le relevé décapant des scènes cocasses parfois tragiques (« Une vie excisée », «Le bon diable et mon père », «  Le tigre et le cardiologue »)  , le parasitisme et son corollaire la violence conjugale et la phallocratie invétérée                ( « Honte à Cotonou », «  Zinli conjugal »), la jalousie ( « La jalousie du cocotier ») ,le harcèlement sexuel en milieu scolaire, plutôt vécu en sens inverse ( « La garce »), la description des bidonvilles où des personnages, englués dans une misère abjecte ( « Nuit carcérale ») sont victimes de tous les coups bas de la vie, et constituent des proies  de sorcellerie, d’envoûtement physique comme spirituel , de l’inceste ( « Aurore mutilée », « Braquage », « Larmes occultes »), le réalisme poignant qui s’en dégage nous donne matière à réfléchir. Et à méditer sur l’avenir de nos sociétés. Ou, l’urbanisation et les avancées scientifiques auraient-elles donné libre cours aux bouleversements sociologiques et au terrorisme psychologique dans nos rues en rupture avec l’idéal et  désormais moins réceptives aux valeurs humaines ?

La réponse est effectivement oui. Et Jean-Paul Tooh-Tooh a une manière impressionnante d’en parler. Et vous l’aurez remarqué : le titre très évocateur,  Les serveuses de fantasmes donné à l’ensemble des textes, sert de vitrine à cet hôpital de folies incontrôlées, de mutations inquiétantes que subissent nos sociétés en silence. Le style, le phrasé même, comme pour nous rappeler la brièveté fondatrice de ce genre, semble être taillé sur mesure. Ou quand la verve de l’auteur ne tombe pas  dans l’illusion et les données référentielles, elle s’autorise des envolées poétiques qui rendent plus vivante et vivace l’intrigue, « tout d’une haleine ».

Mais au final, je réalise. Ce recueil Les serveuses de fantasmes, paru chez les Editions Plurielles en 2012,  charrie des histoires cacahuètes sculptées par un pinceau alerte et sensible, bien ciselées puis servies par une écriture inventive en totale liberté qui excelle dans le dévoilement de soi et  des tares de nos sociétés.


 

Grégoire FOLLY

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