Au hasard de mes errements dans le gotha littéraire béninois de la nouvelle génération, il m’est arrivé de tomber sur un ouvrage de bonne facture que je désigne volontiers mon coup de cœur, jusqu’à ce que, poursuivant mon bonhomme de chemin, j’en découvre d’autres qui m’auraient filé la même impression. Quoique ma charte quotidienne n’en ait pas encore été vraiment étoffée ! Donc, je parlais d’un « magnificat » qui m’a plu par sa simplicité et sa qualité prégnante. Car, la virginité d’imagination et les objectifs d’écriture dont s’est paré l’auteur demeurent remarquables.
Il s’agit bien sûr, de Les Amours incurables, de l’auteur béninois Jean- Paul TOOH-TOOH, son récent et deuxième recueil de nouvelles, après Les serveuses de fantasmes. Lecture faite de ce recueil à dominante réaliste et sensationnelle, c’est sans complexes je me suis accordé avec l’auteur français Guy de Maupassant : « le véritable pouvoir littéraire n’est pas dans le fait mais dans la manière de l’exprimer ».
Publié en 2015 chez les Editions du Tamarin, Les Amours incurables (dont l’origine du titre, pour le moins, reste ronsardienne mais à résonnance subversive!) comporte cinq nouvelles, toutes empreintes du même souffle émoustillant, épicé de traits d’esprit, que nous connaissons très bien à son auteur dans d’autres parutions notamment ‘’ il faut battre l’amour quand il est fou’’ et ‘’ les serveuses de fantasme’’. Cinq nouvelles à sensation, d’autant plus qu’elles « s’inscrivent dans ce lieu grave de la vérité de l’art » pour reprendre les mots de Houessou Akérékoro, le préfacier de ce recueil. Il s’agit de « l’araignée désabusée », « Devoir de cuissage », « Tourbillon élégiaque », « Attraper le mur » et « L’amante de Dieu ».
Il n’a qu’à s’accrocher à la verve époustouflante des nouvelles de ce volume pour reconnaitre que Jean-Paul TOOH-TOOH se porte vigie des bruits sociaux et des cardiopathies actuelles dont souffrent irrémédiablement les couches sociologiques condamnées à se chercher dans un univers fort sclérosé. Ainsi, la nouvelle inaugurale l’araignée désabusée campe l’histoire d’un jeune homme du nom Régis, d’abord journaliste, ensuite obligé de devenir artiste peintre, suite aux conseils de son psychologue, après qu’il soit tombé au bord de la folie, parce que sa femme l’a abandonné.
Celui-ci, après rétablissement, eut une fille avec Carine, sa bienfaitrice. Mais, Régis abandonna la fille après le décès de sa mère, pour se consacrer à son travail d’artiste, parce qu’ayant de renommée internationale, oubliant tout. Et pour réaliser ses fantasmes de peintre, il lui fallait fouiller dans la nudité d’une fille ou d’une femme.
Dans cette quête de femme ou fille inspiratrice, Régis jette son dévolu sur Leila, une beauté d’un irrésistible attrait. Jeune prostituée ou « chérie foutoir », celle-ci exige une forte somme avant de le satisfaire. S’ensuit un affrontement épique au cours duquel Régis se rendit compte que cette jeune prostituée n’était autre personne que cette fille son enfant qu’il avait abandonnée il y a une quinzaine d’années.
Devoir de cuissage, la deuxième nouvelle parle de Laura, jeune femme tombée dans la bouteille de Adéyèmou, un ministre d’État qui, « pour rompre avec la monotonie conjugale » préfère se coltiner les filles nubiles, prêtes à tout. Ce dernier n’hésitera pas à le placarder dans un supermarché de la place, alors qu’il était avec Laura. L’ayant longtemps attendu dans la voiture, celle-ci décide alors d’aller le surprendre. Mais la situation tourna au vinaigre. Elle retrouva, dans les toilettes sa cousine, Jasmine, et son homme fondus dans une mêlée amoureuse. Scandale ouvert !
D’une gouaille provocante à mi-chemin entre l’érotisme laborieux et le langage figuré couao-zottien, cette nouvelle renoue avec le thème des déviances sexuelles tout en projetant au devant de la scène certains personnages en proie à leurs propres démons.
Tourbillon élégiaque raconte l’anecdote d’une femme malheureuse dans son foyer, vouée à la violence et au phallocratisme véreux de son mari qui ne manque aucune de la ruer de coups. Même devant leur fils Karl. Elle ne réussira à se libérer de son joug qu’avec l’aide de certains amis. Cette nouvelle, où la trame sollicite un narrataire attentif, est un miroir accrocheur que promène Jean-Paul TOOH-TOOH dans la cellule familiale poisseuse de pouvoir invétéré, où la femme est la première victime. ..donc l’Afrique.
La quatrième nouvelle Attraper le mur,- métonymie de l’homosexualité, ou connotation de la sexualité subversive-, conte un drame social où les frasques de la jeunesse sont dévoilées dans une sincérité évidente.Nestor, un étudiant,qui, pour se faire de l’argent, va se faire labourer le derrière dans un lupanar pornographique installé dans les entrailles de Cotonou. Avec son job, il devient riche en quelques mois, et réussit à conquérir le cœur de Christelle, une gonzesse qui l’avait renvoyé à ses crottes, au premier lunch. Le jeune étudiant, devenant un habitué des lieux, tissa une amitié cousue d’or avec le propriétaire du lupanar, Django alias Ekpato. Ce dernier ayant fait la connaissance de Christelle. Cette amitié finira par créer une brouille fatale !
L’amante de Dieu, la dernière, relate l’histoire de Flore, jeune femme qui, après avoir essuyé des frasques érotiques, de nombreuses désillusions, se suicida pour rejoindre son dernier amant, malgré la douceur employée par Jacques, son présumé fiancé, pour l’arracher des griffes de son plan. Dans cette nouvelle où l’étrange vient bousculer l’intrigue, l’auteur nous livre sur fond de psychologie poignante le destin tragique d’une rose en butte à ses errances amoureuses.
En réalité, tout le recueil tente de dépolluer notre univers poisseux de pesanteurs sociales, et nous invite à une redéfinition sérieuse de l’Amour dans ses multiples aspérités pour Une ouverture sur la nature vraie de la vie.
Voilà ma lecture de ce livret d’opérette !
Grégoire FOLLY