Te quiero ! / Désy Ray [Nouvelle]

Te quiero ! / Désy Ray [Nouvelle]

 

Te quiero

25 février 2017 – 24 février 2018.

Il y aura demain, un an que le drame s’est produit. Depuis, ma vie a changé et je broie du noir à plein temps. Je n’ai pu parler de ce qui s’est passé à personne. On ne m’a rien demandé. Alors que j’aurais bien voulu m’ouvrir pour m’en libérer et prendre un nouveau départ. Depuis que Cosme est parti, je ne suis plus tout à fait le même.

Parfois, je passe devant sa prison sans toutefois avoir la force d’aller le visiter. Un an, c’est beaucoup. Je me le représente  se défendant contre des prisonniers pas sympathiques. Je l’imagine organisant des concours de culture générale pour ses codétenus, histoire de garder le niveau ; lui qui a été en finale du concours national de génie en herbe. Je sais  aussi qu’il se demande pourquoi je ne le visite pas. Je n’en ai  pas eu la force. C’est que je ne me suis pas fait à l’idée de le voir prisonnier lui tenait tant à la liberté ! C’est que la vie ne m’a pas préparé à voir mon meilleur ami emprisonné presque à vie. Il souffre. Il a besoin de moi. Demain, j’irai voir mon ami. Mais d’abord, il faut je parle de lui à quelqu’un.

*

Cosme était mon camarade de classe. Très passionné des technologies de l’information et de la communication, il s’offrait tous les appareils électroniques qui lui plaisaient. Il faut dire qu’il avait les moyens de se les offrir. Son père était à la tête du plus grand réseau se stations- d’essence. Comme il était souvent en déplacement, il veillait à ce que le portefeuille de son petit Cosmos soit toujours bombé.

Pour moi, Cosme n’était pas un ami comme les autres. Oh ! Ça non ! C’était, mon meilleur ami. C’est mon meilleur ami. Il était très particulier dans son genre. C’est qu’étant en permanence connecté, il tenait à ce que je sois aussi informé de tout ce qui se passait dans le monde. Il partageait alors sur mon mur Facebook, tout ce qu’il trouvait d’intéressant sur le net. Des vidéos les plus indiscrètes sur la débauche d’une star de Hollywood ou de la Champions League, au dernier rapport de l’ONU sur le changement climatique en passant par la dernière trouvaille des terroristes pour dissimuler une bombe. Il me téléphonait :

– Samuel, tu as vu ce qui se prépare ? Dans cinquante ans, ce sera la catastrophe sur la terre ! Une équipe internationale vient de terminer une mission au Groenland, je t’envoie le lien… C’est en anglais. Mais c’est assez clair. Même les aveugles peuvent lire !

Pour dire les choses comme elles étaient, j’étais vraiment harcelé par ce flot d’informations. En quoi avais-je besoin de savoir qu’un footballeur trompait sa femme ou que la terre n’était pas parfaitement ronde ? Pourtant je ne pouvais pas trop m’énerver contre mon ami ! Il était si attachant et généreux! N’était-ce pas lui que me donnait gracieusement les smartphones dont il ne se servait plus ? Je suis ému de réaliser qu’il faisait tout cela de manière désintéressée. Moi pauvre comme Lazare, que pouvais-je lui offrir en retour ? Mon amitié et ma fidélité inconditionnelles bien sûr. Je lui prodiguais aussi à l’occasion des conseils sur les techniques avancées de drague. L’expérience a prouvé qu’il ne suffit pas d’être le fils de la troisième fortune du pays pour faire tomber toutes les filles.

 

Une seule chose me désolait en mon ami : sa passion, son amour sans bornes pour la chanteuse espagnole Lolita. Lolita est aujourd’hui la porte-parole de la musique espagnole. Je ne saurai dire pourquoi Cosme l’aimait tant. Il ne comprenait même pas les paroles de ses chansons étant donné qu’il ne comprenait à la langue de Cervantès que l’expression te quiero qui signifie je t’aime. En fait Lolita est une métisse. Une bénino-espagnole de dix-neuf ans. Toujours souriante. Une vraie beauté ! Elle avait eu un succès planétaire grâce à son premier disque. Elle enchainait alors les concerts partout dans le monde mais rarement en Afrique et surtout aucune au Bénin. Mais Cosme avait bon espoir. Il aimait la jeune fille et encore plus bizarre : il était convaincu que cet amour serait réciproque ! Alors qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés ! Je dois quand même dire qu’elle chante plutôt bien. Ses chansons avaient le don d’émouvoir même si on n’y comprenait rien. Sa voie était douce comme la rosée et  son souffle faisait battre les cœurs. On ne pouvait pas ne pas l’aimer. C’était amusant parfois quand Cosme me faisait voir les clips de la chanteuse.

– Regarde me disait-il en faisant une pause sur une image : elle me fixe ! Je sens qu’elle s’adresse à moi. Mais tu ne peux pas comprendre…

Evidement. Je ne pouvais pas comprendre un tel amour. Cependant, en ami fidèle, je soutenais mon pauvre Cosme, malade d’amour en priant que les jolies filles du campus puissent le convaincre de renoncer à cet amour absurde.

– Te quiero Lolita. Te quiero ! hurlait-il dans son sommeil.

Ses parents commençaient à craindre que leur fils n’en devînt fou d’amour au sens propre. Des rendez-vous furent pris chez le psychologue. Mais Cosme ne s’y présenta pas.

– Tu sais quoi ? Mes parents pensent que je suis devenu fou… Tu devrais commencer par m’éviter !

– Oh, Cosme. Ce ne sont pas seulement les fous qui vont chez le psychologue… Je te suggère d’y aller ainsi…

– Stop. C’est d’un ami que j’ai besoin.

– Mais, demandai-je, comment comptes-tu vivre cette relation ? Elle ne te connait même pas !

– Pas encore. Mais on se comprend. Quand on se verra…

– Je t’aime bien et je voudrais ne pas te décevoir mais…

– Eh bien rugit-il tout furieux. C’est trop tard ! Tu viens de me décevoir. Tu es la seule personne avec qui je partage tout. J’espérais que toi au moins tu me comprendrais, tu me soutiendrais. C’est ce que j’attends d’un ami.

 

Cette conversation refroidit notre amitié, une courte période. Il me punit à sa façon : il ne m’offrait plus de smartphone…

Cependant, je ne lui en voulus pas. L’important était qu’il aille bien. Alors, je le soutenais au mieux sur sa vie sentimentale. Un jour, il m’annonça tout excité : « Elle vient à moi ! »

– Qui donc ? – Tu sais que dans un mois, c’est mon anniversaire ? – Oh bien sûr. Comment pourrais-je oublier ? J’ai déjà prévu ton cadeau d’anniversaire.

– Fort bien. J’ai toujours su que je pouvais compter sur toi. Tu es un bon pote, tu sais ?

– Je sais … Alors qui vient ?

– LOLITA

– Quoi ? Qui ?

– Tu as bien entendu, mon frangin ! J’ai insisté auprès de mon père. Pour mon d’anniversaire, j’ai demandé un concert de LOLITA au Bénin. Et c’est arrangé.

Je ne pouvais pas prendre le risque de le décevoir encore une fois. Et encore…qui sait ? Peut-être à sa vue Lolita en tomberait aussi amoureuse. Cosme est un beau gars je ne l’ai pas encore dit jusques là. Le coup de foudre, ça existe ! C’est prouvé… J’imaginais alors la scène : les deux inconnus se rencontrent et comme par hasard se fixent dans les yeux, un instant. Un second regard plus long plus poignant…Les cœurs battent à l’unisson. Les vêtements se mouillent d’une transpiration soudaine. Les bouches se délient et ne prononcent que la seule phrase que les deux amoureux de l’heure peuvent comprendre : te quiero ! Oh comme ce serait beau. Comme Cosme serait heureux…

 

Les quatre semaines qui suivirent furent des moments de joie intense pour Cosme. Il s’inscrivit à un cours d’espagnol. Il ne voulait pas d’interprète. Après tout, il y a des choses qu’il est préférable de dire soi-même …

 

25 février 2017. C’était un samedi. Le vingtième anniversaire de naissance de Cosme. Le concert avait lieu à la plage de Fidjrossè. L’accès était libre et gratuit ! Un concert mémorable. Cosme fut entrainé par moments sur le podium par Lolita pour danser. Il revint tout transformé. Les cœurs s’étaient parlé.

– Je la rejoindrai à son hôtel ce soir, me souffla-t-il.

À la fin, les dix mille spectateurs chantèrent le traditionnel happy birthday to you  à Cosme. Un moment fort. La fête s’est poursuivie chez l’heureux du jour. Après, on s’est séparés. Je devais repasser les vêtements de mes parents pour la messe du dimanche et Cosme, rejoindre Lolita. Je pense maintenant que je n’aurais jamais dû le laisser partir seul.

*

Cosme est allé à l’hôtel Coup de cœur.  Il a corrompu tout le monde jusqu’ à aller dans la suite de Lolita. Il faisait calme. Son âme était en paix. Pourquoi les choses qui doivent arriver arrivent-elles toujours ? Il a tourné la poignée de la porte. La porte s’est ouverte. Il a pris par l’antichambre en maitre qui visite son domaine. Il est ainsi parvenu jusqu’à la chambre de Lolita. On ne peut empêcher ce qui doit arriver…

Sur le lit, Lolita faisait l’amour avec un jeune noir tout costaud. Trahison suprême. Il ne pouvait supporter cela. Se jetant sur le personnage et mu par la force de la jalousie, il le jeta d’un coup par la fenêtre située au sixième étage. Puis se tournant vers l’objet de sa passion qui tremblait de tous son corps et comme si ce qu’il venait de faire n’était qu’un détail, il dit : te quiero.


Désy Ray

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