Hôpital Père-aux-pierres de Dakanwa. PV2 salle 6.
Le vieux Gbèga va mourir. Il le sait. Il le sent.
Ses quatre femmes et vingt-trois enfants l’entourent. Il les regarde l’un après l’autre.
– Voici l’heure, je vais partir. Je le sens.
-« Quoi, ? Papa tu n’iras nulle part !» lui disent d’une même voix les siens.
– Nous avons encore besoin de toi.
S’adressant à l’une de ses douze filles, il souffle :
-Béa tu fais quelle classe maintenant ?
– Papa, tu sais que je ne m’appelle pas Béa. Je suis Angeline, je vais au BEPC cette année.
– Ah oui, je te taquine , ment –il. Lol !
– Tu as dit quoi papa ? demande son benjamin de dix ans.
– J’ai dit LOL, mec !
C’est le rire général.
« Papa toi tu sais dire LOL maintenant ? »Vraiment les vieux d’aujourd’hui !
Le vieux en effet a quatre-vingt-dix ans. Il a eu son CEPE quand les blancs tenaient encore le pays ! Comme il aime à s’en vanter « LE CEPE de cette époque-là, ça vaut votre BAC d’aujourd’hui, c’est moi qui vous le dis ».
Oui, c’est une chose que de manier aisément le français à quatre-vingt-dix ans quand on n’a eu que son CEPE à la veille de la deuxième guerre mondiale mais savoir dire Lol … Franchement Relol !
– Papa, tu te sens mieux ? Ça va aller ?
– OKLM frangin !
Et l’hilarité reprend… Les médecins, infimier.e.s et aides-soignant.e.s qui suivaient ‘’1000 morts insolites’’ dans le hall d’entrée viennent voir. On leur explique. Ils comprennent et rient. ..
Franchement les vieux d’aujourd’hui. Ses enfants se rapprochent de lui et lui embrassent le front, dans les rires et les sourires. Le vieux semble apprécier. Il rit de bon cœur, comme il n’a plus ri depuis le début de sa longue maladie.
– Je vais partir dit-il à nouveau. Je le sens.
– Non Papa. Ne dis pas ça. Tu seras là quand j’aurai le BEPC. Tu l’as promis.
Des paroles fusent de toute part :
-Papa toi aussi, tu sais qu’on fait de vieux os dans la famille, il te reste encore quinze ans !
– Papa, je vais avoir du travail pour m’occuper de toi. Tu le mérites.
– Je suis enceinte. Que vais-je dire à mon enfant, il a besoin d’un père.
Le vieux qui jusques là semblait impassible répond tu tac au tac :
– Ah, c’est moi son père ? Mdr !
Alors que les éclats de rire reprennent de nouveau, et il dit entre deux quintes de toux !
– Ton gosse ne va pas manger du sable, poupée !
Ils rigolent. Ils sont pliés en deux. Certains sont carrément à terre…
-Dis papa, qu’est-ce qui est jaune et qui attend?
-Jonathan, frère !
Papa est bien drôle hein. Ils versent des larmes de joie. Pauvre papa. Tu es marrant toi. Ils se parlent entre eux, se disent des blagues et continuent de rire.
Quand ils reviennent au vieux, il n’est plus.
Désy Ray.
C’est peut-être une drôlerie sympa, mais une philosophie est peut-être derrière, celle du dépouillement à l’approche de la mort. Le vieux ne tenait plus à son ton de VIEUX quand est venue l’heure.
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Voilà un vieux qui a sans doute regardé le film » Joyeuses funérailles « .
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Allez on rit encore un coup!!!Merci pour ce texte qui est un bel exemple de ce que Baudelaire a appelé la familiarité terrible. Ah oui !!!Tutoyer la mort à coups de lol et de relol ah oui il fallait y penser han!!Merci Desy, merci de nous faire rêver superbement!
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‘ » La familiarité terrible » de Victor Hugo!Je ne connaissais pas ça cher Warisse . Je dormirai mon bête ce soir, je vais rechercher. Merci pour ton passage.
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Sourire…Rires…Trilol
Une façon agréable de passer de vie à trépas 👅
Merci . Ce fut un plaisir de te lire…comme d’habitude
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Merci Taranée. C’est toujours un plaisir que de t’en donner livresquement.
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En effet… On a bien rigolé.. Le vieux a bien joué son rôle.. Ou du moins Eurydoce, le grand cuisinier des saveurs livresques a su insuffler au personnage du Vieux de quoi nous faire marrer.. Merci encore Eurydoce…
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Sacré vieux ! Je pense qu’il serait content de savoir que le shemsu Osée a apprécié et approuvé sa façon de rendre l’âme. Que la Divinité lui soit favorable dans l’au delà ! Rires !
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Merci à tous pour vos appréciations. Tout est parti de mon envie obsessionnelle de jour avec et sur les mots. Dans ce cas ci, je voulais vraiment concrétiser l’expression : » mourir de rire. » au ( sens propre donc). Bon, le vieux est mort dans les rires. C’est déjà ça.
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