Interview avec Daté Atavito Barnabé-Akayi, Prix du Président de la République 2017.

Interview avec Daté Atavito Barnabé-Akayi, Prix du Président de la République 2017.

 

Daté Atavito Barnabé-Akayi, Entretien accordé à Grégoire Kouassi Folly.

 

 

  1. Bonjour monsieur Daté Atavito Barnabé-Akayi.

Auteur prolifique, vous êtes sacré, cette année  » Prix du Président de la République » pour votre pièce théâtrale « Le Chroniqueur du PR ». Mais avant de parler de ce sacre solennel, nous nous intéressons d’abord à votre casquette multidimensionnelle. Vous êtes enseignant, écrivain protéiforme, critique littéraire… Pour vous, qu’est-ce que cela signifie d’embrasser tous ces domaines à la fois ?

Bonjour cher jeune ami, bonjour chères lectrices, bonjour chers lecteurs auxquels je souhaite Santé et Accomplissement pour cette 2018. Je rends cette interview après le 8 mars et mon retour du Salon du livre de Paris, et je souhaite toutes les femmes libres et épanouies au même titre que les hommes : je souhaite harmonie et complémentarité pour l’Humanité. Je ne suis pas naïf au point de croire que chaque jour sera exclusivement bonheur mais je tiens à marteler que le bonheur est une décision personnelle. Et il faudra nous éduquer à être heureux, malgré notre existence tragique !

Pour en venir à l’entretien : autant je me sens malaisé quand on me dit prolifique ou protéiforme, autant je ne vois pas en quoi être enseignant et auteur se décline en plusieurs domaines : de manière conventionnelle, être enseignant, c’est interroger et/ou partager une connaissance à un public connu, souvent plus jeune que soi ; être auteur m’a l’air pareil, sauf que cette fois-ci, le public est peu connu, plus large, plus illimité dans le temps et dans l’espace… J’insiste sur l’espace et le temps illimités chez l’auteur mais non pour l’enseignant (encore qu’avec l’Internet, pour l’enseignant, les vidéoconférences semblent réduire le temps et l’espace !) car Molière ou Voltaire, en écrivant Le malade imaginaire pour l’un et Candide pour l’autre, ne savaient pas qu’on les étudierait au Bénin (connaissaient-ils même le Bénin ?), plusieurs siècles après leur décès. Pour donner un exemple sur mes œuvres et sur l’indétermination de la cible, je reçus ce message depuis les USA, quelques jours plus tôt :

« Cher Daté, je suis à la recherche de « reviews » de la mise en scène de tes pièces. Bon, en cherchant, j’ai remarqué que ton texte, Quand Dieu a faim…, est en place dans les bibliothèques de deux grandes universités aux USA : Stanford et Princeton ! »

Ce message vient d’une américaine qui poursuit des recherches doctorales sur le théâtre de l’Afrique de l’Ouest. Mais en écrivant Quand Dieu a faim…, puis-je affirmer que je savais que le livre trouverait des lecteurs ou des spectateurs en Amérique ?

Autrement dit, sauf le temps et l’espace, ces deux métiers qui, de mon foyer, visent l’apprivoisement de la Nuit en l’homme ne font qu’un ! Si en privilégiant le Verbe, Socrate et Jésus-Christ n’ont pas daigné écrire, leurs disciples Platon et Jean ont cherché à perpétuer leur Parole, par l’acte d’écrire. Et c’est sans doute cette soif d’extraire de la Nuit ce qu’elle a de puissamment positif qui a amené Jean-Paul Sartre, malgré ses écueils oculaires, à continuer d’écrire. Et, juste à côté, le médecin légiste béninois Basile Adjou-Moumouni, nonobstant sa difficulté à voir et son âge avancé, signe des livres axés sur la Lumière, pour ne pas citer les quatre (4) délicieux tomes de son ouvrage Le code de vie du primitif ! Le professeur et actuel ministre de l’enseignement secondaire Mahougnon Kakpo continue d’écrire, malgré ses nombreuses occupations, qui prépare brillamment de nouvelles publications. Pour dire qu’en questionnant l’histoire, il est d’innombrables enseignants qui sont auteurs… Pour dire que je ne fais rien, mais alors rien d’extraordinaire : je marche dans une tradition, dans une tradition ancienne pour ne pas être pléonastique.

 

  1. Écrivain protéiforme comme on le disait tantôt, vous êtes poète. Dense, parfois déroutante, construite en bloc, votre poésie est une invitation en même temps qu’une invite à l’amour dans tous ses compartiments. En gros, dîtes-nous, cette dimension poétique vous semble-t-il fondamentale dans votre création ?

Je permets à mes lecteurs de se prononcer sur ma poésie, à leurs convenances. Et, ici, je vous remercie pour ces beaux mots sur ma poésie.

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  1. Déjà, avec vos pièces Les confessions du PR et Quand Dieu a faim…, vous vous annoncez comme un dramaturge talentueux et provocateur qui fait peu de cas des tabous culturels. Que tentez-vous de prouver dans cette démarche de transgression ?

Beaucoup de critiques aiment à travailler sur la dimension « transgression » ou anticonformisme de mes pièces. Moi, je ne cherche pas à transgresser, je ne cherche à rien transgresser. C’est peut-être ma conception de l’écrivain qui me donne l’air de transgresser. Un écrivain, ce n’est pas ce type qui publie pour prouver que lui aussi, il sait écrire depuis son enfance ou depuis le ventre de sa mère ! Un écrivain, ce n’est pas celui qui sent la vocation d’écrire parce que Dieu l’aurait investi de cette mission – pour ma part, on est loin de l’âge de la pierre taillée où c’est Dieu qui inspire tel plutôt que tel autre parce qu’il l’eût promis à son père comme Salomon est devenu roi par promesse de Dieu à David : ici, je salue José Pliya (Konda, le Roquet) qui a écrit autrement le théâtre que son père Jean Pliya (Kondo, le Requin) – ! Pour moi, un écrivain, c’est un être qui vit continuellement dans la remise en cause thématique et esthétique d’où le synonyme créateur dont il jouit. D’ailleurs, en épigraphe aux Confessions du PR, j’ai cité Sartre en ces termes :

« La seule façon d’apprendre, c’est de contester. C’est aussi la seule façon de devenir un homme […]. Un intellectuel, pour moi, c’est cela : quelqu’un qui est fidèle à un ensemble politique et social mais qui ne cesse de le contester. ».

En réalité, j’écris comme je vis et à mes œuvres j’imprime mon ADN. Et le grand poète Fernando d’Almeida dédicataire de mes trois derniers poèmes que je qualifie d’anadiploses à savoir Tes lèvres où j’ai passé la nuit (2014), Les escaliers de caresse (2016) et Belligènes (2017-2018) et préfacier de la plupart de mes poèmes semble mieux me saisir, qui dans Tes lèvres où j’ai passé la nuit, écrit :

« Daté Atavito BARNABE-AKAYI vit en écrivant. […]

Tournant le dos à toute corporéité bêtifiante – celle qui fait la queue dans la génétique ! Daté sait sa langue de travail mieux que les pédants préposés à la grandiloquence lorsqu’ils écrivent ce qu’ils pensent être des chefs-d’œuvre. Efforts souvent vains sur l’enclume du vent, du tape-à-l’œil ! Non, Daté Atavito ne nous vient guère de ces bords, de ces chaumières, de ces « apatams » où l’on écrit péniblement en déambulant derrière les voyelles et les consonnes.

Au fond, ce brillant sujet apporte l’eau fraîche à notre journée. Il n’écrit pas pour faire l’épate mais vaporise en gerbes ses visions, profère par vagues alternées de sérénité gracieuse et de fantaisie hallucinante. En cela, il est poète des mieux inspirés : il est assurément lui-même ; et c’est tant mieux pour cette période d’insalubrité et de borborygme poétiques réfractaires à l’enrichissement de soi à partir de la quintessence de soi ! »

 

Pour être clair, j’ai une relation très intime avec le doute et, aussi paradoxalement que cela puisse paraître, avec la certitude ! En français facile, j’insinue que je suis un être de contradictions tel tout le monde, à la différence que moi, je m’assume ainsi que le recommande la combinaison du deuxième Fa Du (Yeku Meji) et du dixième Fa Du (Sa-Meji), le Fa Du Yeku-Sa :

« Sois ce que tu es,

reste où tu es,

fais ce que tu dois. » (En épigraphe à Belligènes).

Mon acte d’écrire consiste en l’application de cette maxime de Fa. Je plonge en moi-même comme un océanologue, me fouille comme un archéologue, exhume comme un égyptologue et reviens à la surface avec les loques de mes cadavres, les vestiges de mes angoisses, la grossesse de mes allégresses que j’affiche à la face du monde, sans honte ni peur d’être hué ! A la suite de tous ceux qui ont fondé leur vie sur la Liberté et la Responsabilité, je me définis comme un dramaturge qui rêve d’un monde épanoui. Et je ne connais pas d’épanouissement humain sans liberté ni responsabilité. C’est pourquoi mes pièces œuvrent dans ce sens, dans le sens de la Liberté et de la Responsabilité. Et si parler de la liberté et de la responsabilité est transgression, alors j’accepte : je transgresse ! Je veux transgresser ainsi que Copernic (1473-1543), Kepler (1571-1630) et Galilée (1564-1642) ont transgressé le système géocentrique de Ptolémée pour planter l’héliocentrisme !

 

  1. Quelque part, semble-t-il, lors de la remise du Prix, vous avez dit une chose importante qu’on renouvelle ici : « Mon pays est devenu le siège social des ténèbres ». Vous semblez résumer là l’actualité d’un pays qui vous a marqué politiquement ?

 

Oui, quelque part. Mais pas lors de la remise du Prix du Président de la République. C’est plutôt dans la pièce qui porte désormais le Prix. Je vous situe : ouvrez Le chroniqueur du PR, à la page 31, vous lirez :

« Il ne voit rien ! A-t-il l’infrarouge ? Mon pays est une obscurité, le siège social des ténèbres ! Et il paraît qu’il aurait utilisé le mot magique ! Ce qui est dangereux avec ces genres de mots, c’est qu’ils s’écrivent de la même manière au masculin comme au féminin, comme par magie ! »

Le cadre n’étant plus le même, j’aurai du mal à vous répondre. Cependant, j’utilise « ténèbres » par opposition à Lumière : il faut entendre par « ténèbres » toute pauvreté mentale, c’est-à-dire cette cupidité stupide à réduire le monde à la pécune, cette incapacité à construire un autel pour l’immatériel, pour l’anticipation, pour le réel développement, cette absence de leaders et cette inondation de représentants qui se prennent pour tels. J’insiste sur la diffusion de la Lumière non que je sois enseignant – encore qu’il paraît que l’enseignant ne vaut pas grand-chose dans le développement d’un pays – mais parce que selon ma petite expérience, je constate qu’aucun pays développé ne méprise son système éducatif. En conséquence, j’estime que nous avons besoin de leaders qui ont fini leurs Humanités. Et non de représentants : des gens qui ne sont pas mieux que le peuple ignorant et orphelin de cerveaux humains ! Je veux que cela soit clair : on ne sera jamais développé si nous élisons des mythomanes qui ne croient même pas en eux-mêmes. Et il faut qu’on cesse d’élire des délégués, des députés, des présidents, juste pour obtenir un sandwich ou par colère, par émotion, par régionalisme. Mais pour y parvenir, il faut qu’on soit éduqués dans ce sens. Notre système éducatif travaille-t-il dans ce sens ? J’aime à dire que Barack Obama n’est pas devenu Président des USA parce qu’il est le plus riche des Noirs ou des Etatsuniens. J’aime à dire que Barack Obama a joui d’une administration américaine moins raciste, loin de la guerre de sécession, loin des années où Martin Luther King devait évangéliser la non-violence ! En un mot, je voudrais qu’on soit réaliste : on ne peut pas continuer à élire des incapables pour prendre des décisions graves et scandaleuses au nom du peuple et espérer le respect des pays où le travail et le sacrifice priment sur la fraude et la paresse !  J’ai récemment suivi sur une chaine Tv (CGTN) un astrophysicien chinois se réjouir non de son salaire mais du fait que la réussite de chaque projet spatial reste sa seule consolation. Inutile d’étaler ici le sacrifice du Prix Nobel Albert Einstein. D’ailleurs la plupart des gens bien ont ainsi vécu. Frédéric Lenoir, dans son ouvrage Le miracle de Spinoza (Fayard, 2017), témoigne :

« Ses divers biographes ont aussi été frappés par le désintéressement de Spinoza. Son riche ami, Simon de Vries, lui proposa de nombreuses fois de lui verser une rente annuelle, afin qu’il puisse se consacrer entièrement à l’écriture de ses livres. Baruch refuse. Il préfère travailler pour financer ses modestes besoins. Lorsque son ami décédera, lui laissant une rente annuelle très importante, Baruch demandera aux héritiers d’en récupérer la plus grosse partie, pour ne conserver qu’une somme modeste. »

Il faut qu’on nous éduque à en arriver là : être heureux de notre apport à l’humanité et non de l’actif de notre compte bancaire, procuré par la corruption, la mendicité, l’assistanat et/ou la cupidité !

 

  1. Revenons au Prix du Président de la République qui vous a sacré cette année. Cette distinction vous paraît-elle déterminante dans votre carrière littéraire ?

J’ai déjà répondu à cette question, juste après que les ministres Bio Tchané et Homéky m’ont remis le Prix, la nuit du 7 novembre 2017.

Pour moi, aucun écrivain sérieux n’écrit dans l’optique d’obtenir un Prix. Et recevoir un prix ne devrait pas le rendre particulier ou plus important. Je crois que c’est juste une question de chance. C’est une chance d’avoir deux pièces en finale sur les cinq pièces retenues. Dans l’analyse combinatoire, il y a une forte probabilité que l’une de mes deux pièces soit prise. C’est tout !

Maintenant pour ma carrière littéraire, je n’en sais rien vu que rien n’a changé : personne ne m’a jusque-là invité parce que j’ai remporté un Prix. D’ailleurs, je suis si chanceux que j’ai déjà parcouru le monde sans avoir reçu de Prix. J’ai d’autres invitations mais nulle part, c’est précisé que je les dois au Prix du Président de la République !

A signaler que les professeurs d’université autorisent des thèses ou des mémoires sur mes œuvres alors qu’aucune d’elles n’avait remporté de Prix. De même qu’un extrait de mon recueil de nouvelles L’affaire Bissi, grâce aux inspecteurs, a servi de texte d’appui à l’épreuve du B.E.P.C. national en session de remplacement 2012. A signaler que cet extrait donne à lire les questions relatives à la cybercriminalité, comment de jeunes gens se déscolarisent au profit du vol, de la délinquance !

J’attends. Peut-être le temps m’apprendra en quoi ce Prix m’est déterminant. Bon, les gens racontent que je dois ma présence à Paris, grâce au Prix. Je n’en sais rien entendu que tous les invités ne sont pas détenteurs de ce Prix et que le Ministre de la Culture Oswald Homéky ne me l’a pas fait savoir explicitement.

Quoi qu’il en soit, ce Prix m’oblige à adopter une posture toujours meilleure. Ce prix fait de moi un exemple, une voie que le Président de la République et son Gouvernement ont tracée, une voie que des jeunes voudront emprunter. A partir de cet instant, je dois œuvrer à ne pas leur faire regretter, à ne pas les décevoir, à constituer une force pour eux, pour tout le pays.

Je réalise malgré moi que ce Prix est un poids (peut-être agréable) à soulever… et à porter.

 

  1. Et c’est avec Le Chroniqueur du PR que vous avez remporté ce prix. On sait aussi que Les confessions du PR était en lice… Dites-nous ce qui a séduit le jury dans votre pièce.

Comment le saurai-je ? C’est une question à laquelle seuls les jurés peuvent répondre. Je retiens seulement qu’ils ont signalé l’originalité de la pièce. Mais je ne puis en dire plus car ceux avec qui j’étais en lice, à savoir Sophie Adonon, Florent Eustache Hessou et Hilaire Dovonon, sont tous mes aînés, manipulent la plume bien avant moi et sont très bien connus du monde littéraire béninois et international, ayant remporté des prix nationaux et/ou internationaux.

 

  1. Deux ans plus tôt, l’écrivain Habib Dakpogan a été consacré par le même Prix du Président pour son roman PV…salle 6. On sait que votre roman Errance chenille de mon cœur, était finaliste aussi. Et cette année, vous êtes sacré Prix du Président de la République. Dites-nous, quel effet cela fait d’avoir ce prestigieux prix ?

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Je me demandais quelle question saisir pour remercier les jurés. Avoir ce Prix vous contraint à l’humilité, à manifester un signe de gratitude aux jurés, aux lecteurs, aux critiques… Et surtout à tous ceux qui avant tout le monde avaient cru farouchement en vous alors que vous-même n’y croyez pas !

 

  1. Dites-nous comment votre famille a accueilli la nouvelle.

Ma famille ? Aucun écrivain sérieux n’écrit pour sa famille. Pour plaire à sa famille. Mon fils n’en sait rien car très jeune, né le 30 mai 2009. Ma femme s’en fout, je crois… ou plutôt, j’ignore ce qu’elle en pense (il faudra alors lui poser la question). Ma mère (j’ai deux mères : je parle ici de la génétique : Nadou Angèle Lawson) est avec sa mère, inhumées à Hêvê (Grand-Popo). Mon père vit au Nigéria depuis trente ans et n’a su que son fils écrit que récemment… Quand mes frères et sœurs vivant à Cotonou ont appris la nouvelle, ils ont regretté que je ne leur ai pas demandé de venir me soutenir le jour de la délibération… A la vérité, je n’aime pas mêler ma famille à mon acte d’écrire. Si c’était le cas, je n’écrirais jamais Quand Dieu a faim… Toute ma famille étant fortement fervente : catholique, protestante, céleste…, elle ne m’aurait pas permis de parler d’homosexualité avec autant d’aisance. En réalité, quoique j’aie passé mon enfance dans toutes ces religions, ma conception actuelle de mon existence qui est fondée sur la tolérance, m’éloigne chaque jour de ma famille par moments fanatique, à mon goût (je pense à ma deuxième mère Laure David Gnahoui) !

 

Et vos amis auteurs béninois, africains voire internationaux. On pense à Florent Couao-Zotti, Kangni Alem, Véronique Tadjo, Gaston Bellemare… Comment ont-ils accueilli la nouvelle ?

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Florent Couao-Zotti et Kangni Alem sont des aînés qui ont donné leur bénédiction à la pièce Le chroniqueur du PR. L’un et l’autre ont écrit des notes sur la pièce. Il va de soi qu’ils soient ravis du Prix. Florent Couao-Zotti m’a invité au Festival des Glaces de Cadjèhoun le mardi 19 septembre 2017 pour me supplier – je dis bien supplier – de participer au Concours. C’est vrai que bien des gens ont tenté mais ce sont ses propos qui m’ont fait décider car il précisait qu’il s’agissait pour moi d’honorer le Prix. En réalité, je ne suis pas un homme de Prix. Et ceux qui me côtoient savent que le but que je poursuis en écrivant ce n’est pas d’obtenir un Prix. Kangni Alem a montré clairement sa joie en partageant l’information sur ses réseaux sociaux puis en venant à Cotonou la semaine du Prix suivre le spectacle créé par Hermas Gbaguidi. Déjà jouée au Niger, en Côte d’Ivoire, au Togo en 2017, la pièce, sur sa demande, vient d’être jouée le 22 mars 2018 à Lomé au Festival Filbleues. Il m’a confirmé que le public, venu nombreux, n’a pas été déçu. L’honneur va au metteur en scène et dramaturge Hermas Gbaguidi et aux comédiens.

Quant à Véronique Tadjo, elle a toujours estimé que je ne me vends pas suffisamment. Vous pouvez lire ceci, à la quatrième de couverture de mon sixième livre de poésie : Belligènes. Imonlè 160-161 :

« J’ai commencé par ton recueil de poésie, Tristesse ma maîtresse. Vraiment toutes mes félicitations ! Je trouve que ta poésie est exceptionnelle, originale et pleine d’émotion. Non, non, je n’exagère pas. Il faudrait qu’elle soit plus connue, mieux diffusée car tu le mérites. Tu es un poète original. A mon avis, tu n’avais besoin ni de préface, ni de postface et pas besoin non plus de t’excuser parce que, pour une fois, tu ne rigoles pas… ».

C’est dire qu’elle a estimé bien avant le Prix que je mérite beaucoup mieux. Ce qu’elle m’a confirmé quand on s’est vus à Paris, tout récemment.

Je ne sais plus ce qu’avait pensé Gaston Bellemare. Mais c’est quelqu’un qui a trouvé une puissance extraordinaire dans mon écriture poétique (Gaston ne jure que par la poésie, étant le Président du Festival Internationale de Trois-Rivières), qui m’a invité au Canada en 2013, après notre rencontre au Festi7 (Yaoundé 2012) … Depuis, nous avons gardé le lien car il est très sensible aux écritures de belle eau. Le vendredi 16 mars 2018, à Paris, il est venu spécialement au Pavillon des Lettres d’Afrique, acheter tous mes poèmes (les trois derniers) qu’il n’avait pas. Je l’en remercie.

 

  1. À la lecture de votre pièce Le chroniqueur du PR, on peut dire presque que l’écrivain est prophète parfois…

 

C’est un avis que je respecte.

 

  1. Les deux personnages de votre pièce, Le Chroniqueur et son confrère qui étaient pourtant liés par le métier et l’amitié, connaîtront un destin étrange et inattendu. L’un deviendra au fil de l’intrigue victime et l’autre bourreau. Pourquoi avez-vous fait le choix d’un tel revirement ?

 

Je laisse la possibilité aux critiques de spéculer.

 

  1. Votre pièce revisite la plus chaude actualité qui a agité notre pays : l’affaire de 18 kg de cocaïne… Dans quelle intention avez-vous évoqué cela ?

 

C’est vous qui y voyez notre pays. Je vous laisse développer.

 

  1. On a vu que le personnage du Chroniqueur a été victime d’un drame terrible ou d’une trahison de la part de son ami Le confrère devenu Président. Est-ce une subtile allégorie pour nous dire qu’en politique, tous les coups sont permis ? Ou qu’en démocratie, il faut alterner parfois le bâton et la carotte ?

Ce sont des questions oratoires, visiblement.

 

  1. On présume que vous avez d’autres manuscrits en chantier ou en attente de publication. À quoi devons-nous nous attendre prochainement ?

 

Des romans, des pièces de théâtre, de la poésie… et peut-être même des contes et des nouvelles. Les lecteurs de L’affaire Bissi sont impatients de scruter d’autres nouvelles, et précisent-ils, de la même facture ! Quelle exigence ! Ceux qui ont aimé Errance chenille de mon cœur sont impatients de découvrir mon nouveau roman. Il y a même un qui m’oblige à le prendre pour personnage dans mon prochain roman et il me précise même le rôle qu’il aura à jouer : il veut prendre sa revanche sur Saniath : lui faire l’amour une fois pour toutes pour qu’elle cesse d’errer d’homme en homme ! Car, poursuit-il, comment tout le monde peut découvrir cette nymphomane et moi, pas ?

Finalement, parfois, l’écrivain, malgré lui, découvre que ce sont les lecteurs qui écrivent ses livres ! Et me vient à l’esprit cette célèbre citation d’Honoré de Balzac extraite des Illusions perdues :

« Le Journal au lieu d’être un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis ; de moyen, il s’est fait commerce ; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi. Tout journal est, comme le dit Blondet, une boutique où l’on vend au public des paroles de la couleur dont il les veut. S’il existait un journal des bossus, il prouverait soir et matin la beauté, la bonté, la nécessité des bossus. Un journal n’est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions. Ainsi, tous les journaux seront dans un temps donné lâches, hypocrites, infâmes, menteurs, assassins ; ils tueront les idées, les systèmes, les hommes, et fleuriront par cela même. »

 

On peut remplacer le journal par le livre pour dire que je suis ouvert aux critiques, aux apports mais je ne tolérerai jamais la prostitution de mes créations fictionnelles… Parce que j’ai nommément remercié Achille Togbéto, un ami de collège qui a subventionné (et Dieu sait qu’il n’a pas même lu la pièce Le chroniqueur du PR avant publication, tant il est heureux de voir un camarade de classe écrire Les confessions du PR qu’il prend pour une œuvre de haute portée démocratique et de salubrité publique) Le chroniqueur du PR, des gens sont convaincus que bien d’autres m’ont financé… pour stimuler mon cerveau à réfléchir et à imaginer, à contre-courant (contre-courant pour signifier qu’on est sur une autre longueur d’ondes : finalement, c’est quoi la liberté si tout le monde doit penser comme tout le monde) ! Les gens de mon rang m’atteignent pas ces sommets de ‘liberté stimulée’, car tout ce que vous lirez de moi est totalement accepté de moi : je, avant d’être un autre, est d’abord moi… Nul ne peut aller à la perfection sans passer par soi, pour paraphraser la parole christique : le véritable écrivain est un grand égoïste, dans le sens de Richard Dawkins (Cf. Le gène égoïste).

Beaucoup d’œuvres attendent de sortir, qui n’attendent que mon quitus ! Mais je ne saurai vous dire laquelle œuvre car elles me dribblent moi-même, mes œuvres dont j’assume l’entière responsabilité.

 

  1. Aujourd’hui, l’argument est avancé que les réseaux sociaux et blogs font régresser le niveau des jeunes et les conduisent à des ambitions obscènes. Pensez-vous que les réseaux sociaux soient à l’origine de la dépravation des jeunes et de leur désaffection pour la lecture ?

 

Du tout !

A la naissance de mon fils en 2009, mon beau-père Pierre Adjinda, Colonel des douanes, a trouvé étrange qu’on autorise son petit-fils à posséder une télévision dans sa chambre. Il était convaincu qu’elle allait inoculer l’esprit diabolique dans le sang de mon fils. A sept ans, c’est mon beau-père lui-même qui lui ramène une tablette de retour de Paris après que sur sa commande, je n’avais pu en acheter à Pékin, en 2016. Pour vous dire que familiariser la jeunesse aux réseaux sociaux n’agit guère négativement sur elle. L’éducation de mon fils est telle qu’il ne dort pas sans avoir lu, qu’il a sa carte d’adhérent à la bibliothèque de l’Institut Français de Cotonou, qu’il partage son temps avec d’autres loisirs et sports.

Il revient aux parents de ne pas livrer les enfants à eux-mêmes ni à d’autres enfants pour éviter des addictions et des habitudes regrettables.

 

  1. Dites-nous monsieur Barnabé-Akayi : que feriez-vous si vous disposiez du pouvoir un jour ?

Je l’ai. Il n’y a pas de « si » qui soit ! J’ai le pouvoir ! Nous l’avons tous ! Il faut qu’on arrête de penser que seuls les hommes dits politiques sont détenteurs du Pouvoir. Relisez Nietzsche et sa théorie sur la volonté de puissance. Et si l’on a fait tuer Socrate ou Jésus-Christ, ce n’est pas parce qu’ils ont le pouvoir politique. Nous avons tous le pouvoir. Et, en ce qui me concerne, j’essaie de maintenir, sans les aveugler, ceux qui me lisent dans la Lumière tout en maîtrisant l’obscurité.

 

  1. Une dernière question : que pensez-vous de nos articles ?

Pour la jeunesse des rédacteurs, je ne puis qu’émettre un avis favorable et souhaiter que parmi vous naissent de grands journalistes et/ou de grands écrivains. Toute ma gratitude à la jeune équipe. J’eusse appris que le blog appartiendrait à Eurydoce Désiré Godonou mais que Belkis Hounkanrin qui m’a contraint à cet exercice, Djamile Mama Gao, vous Grégoire Kouassi Folly et bien d’autres l’animez. Bon travail à vous et faites tout pour que le ventre ne montre pas le chemin à votre cerveau.


Questionnaire de Grégoire Kouassi Folly répondu à Cotonou, le 25 mars 2018,

Par Daté Atavito Barnabé-Akayi,

(Sur insistance de Belkis Espoir Hounkanrin).

 

5 réflexions sur “Interview avec Daté Atavito Barnabé-Akayi, Prix du Président de la République 2017.

  1. Belle interview. J’ai été sidéré par la chute des propos du poète: « Bon travail à vous et faites tout pour que le ventre ne montre pas le chemin à votre cerveau. » On n’en sort pas comme on y est entré. Merci à Saveurs Livresques Biblioblog. Merci surtout à celle don l’insistance a fini par payer : qu’il faut toujours persévérer.

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