
Une immense joie dont je n’expliquais la source m’inondait le cœur quand je rentrais chez moi ce soir là .Peut être que les frissons habituels que je ressens à l’idée de revoir ma dulcinée s’étaient fortifiés pour une fois, peut être que les vacances prochaines qui s’annonçaient à grands pas m’envoyaient déjà leur air frais. Je ne savais pas trop. Il est de ces moments où pour une raison qu’on ignore on se sent bien dans sa peau. J’en vivais un ce soir là. Et j’en profitais gaiement. D’ailleurs ma vie qui se résumait à un mélange de diverses sortes de mélancolies accompagnées d’une petite goûte de temps de bien-être avait besoin de se faire une santé. Une fois à la maison je constatai que l’atmosphère était calme. C’est normal. Cela a toujours été ainsi depuis que je vis dans cet appartement. Le silence nous côtoyait, mon épouse et moi, comme une ombre ne lâche son propriétaire. Valérie était assise au salon. Elle s’était adossée au fauteuil comme si elle était craquée et épuisée jusqu’aux entrailles. – Bonsoir ma dulcinée, exclamai-je gaiement. D’habitude je n’aurais pas fini cette phrase et elle se serait jetée sur moi comme un enfant fou de retrouver sa maman disparue un temps. Je m’attendais donc qu’elle sursaute brusquement et qu’elle me prenne dans ses longs et enveloppants bras pour me flageller de ces sensations virulentes auxquelles, habituellement, je n’oppose qu’une bouche bée. Mais quelle surprise ! Elle était restée figée. Perplexe, je m’approchai d’elle doucement et tranquillement pour essayer d’en avoir le cœur net et précis. Mes pensées oscillaient entre une bourde que j’aurais commise et qui provoquerait une telle réaction de sa part ou un jeu romantique sans doute pour m’exciter en me faisant peur comme elle sait bien le faire. Je lui tapotai l’épaule légèrement.
Elle sursauta vivement comme si elle revenait de très loin. Elle se leva subitement me fit face et commença par me regarder, paupières fixées, comme une statue. De ses étranges yeux rouges, je remarquai une haine qui tournoyait dans le besoin d’être crachée dehors. J’imaginais alors que dans les secondes qui suivront je me ferai tabasser par une femme enragée, prête à me dévorer pour dissiper sa colère. Je me voyais déjà hurler de douleurs face à ses coups de poings dans mon ventre qui avait subi une opération chirurgicale récemment. Je songeais que je n’avais aucune arme pour m’opposer à sa colère qui versera d’un instant à l’autre toute sa teneur. Je transpirais. La peur m’avait arrachée les couilles. Je savais que la honte de se faire battre par une femme sera consommée d’un instant à l’autre. Je pensais au pire, quand une petite charge vint se poser sur mes épaules. Ne faisant plus attention à ce qui se passait autour de moi je me sentis dans le besoin de sursauter du fait de la fusée de peur qui venait d’agrandir mon inquiétude. C’était elle qui venait d’enlacer ses mains fraîches autour de ma taille. D’un coup magique mon corps en feu fit une chute brutale au point où la sueur qui y ruisselait n’était que fraîcheur coulante. Mon cœur lentement prenait déjà la route du rythme normal. On aurait dit un moulin éteint qui, en agonie, descendait vers l’accalmie. Valérie d’un ton glacé, toujours avec la même fureur dans le visage me chuchota à l’oreille. – Fais-moi l’amour! Je n’en revenais pas. Même Dieu n’aurait pas crû qu’elle dirait pareille chose. Hésitant encore sous le coup de l’incompréhension totale que me dictait son envie, elle m’emmena rapidement vers la chambre. Tout fut allé vite. Elle était si pressée qu’on n’eût même pas le temps de vouer au culte qui consistait à s’exciter davantage par les préliminaires. En réalité je n’ai jamais aimé cela. C’est elle qui y consacrait toute sa hargne érotique pour finalement être timide et naïve lors du coït, partie plus importante pour moi. Mais grande était ma surprise de la voir passer outre sa préférence. Elle m’avait juste mis délicatement quelques baisers au cou, s’était déshabillée, m’avait déshabillée et nous voilà déjà au combat. Nous nous étions mutuellement pénétrés, emportés comme une seule personne sur les hautes montagnes des plaisirs jamais lorgnés sur terre. Nous avions oublié le Monde et nous avons bien vécu. Je n’avais jamais souhaité revenir du point culminant de cet échange de sensations qu’est l’orgasme car il y faisait bon vivre. Nous avons passé des minutes formidables et paradisiaques. Du moins c’est ce que j’ai pensé tant elle avait l’air de jouir comme une folle. À la fin de nos ébats, elle resta couchée quelques minutes certainement essoufflée par ce moment court mais riche. Mais soudain elle se leva brutalement et enfila à la hâte une longue robe. L’inquiétude de tout à l’heure revint alors sous une autre forme. Elle est apparemment devenue folle. Qu’est-ce qui lui prenait la tête au juste ?
– Écoute moi bien Cossi, se mit-elle à dire, c’est fini entre nous. C’est la dernière fois, je dis bien la dernière fois qu’on partage ensemble du plaisir sexuel. Tu as bien fait d’ailleurs de jouir comme jamais tant je t’avais senti loin très loin.
Je ne pouvais lui donner la possibilité de continuer. Quelle ignominie raconte t-elle!
– Qu’est ce que tu racontes Valérie? T’entends tu ?essayai-je de balancer dans le bruit que faisait sa voix qui avait monté d’un cran.
Mais elle ne me faisait visiblement pas attention.
– Cossi si tu savais lire entre les lignes, si tu savais aller en profondeur puiser les faces déguisées des attitudes des gens tu allais comprendre depuis quelques jours que la fin n’était plus pour bientôt mais que tout avait pris fin entre nous. J’attendais juste la manière la plus drôle pour te l’annoncer afin de te rendre le coup. Tu m’as drôlement caché que les résultats des tests révélaient que procréer serait pour toi une montagne à déplacer. Maintenant je prends mon chemin à la recherche de ce qui est la raison d’être de l’amour et du mariage, l’enfant. c’est du moins ma façon de voir les choses.
– Ma chérie, tu ne sais pas tout…
– Que veux-tu m’apprendre que je ne sais déjà ?
– Laisse-moi t’expliquer…
– Tu peux te les garder tes explications. Ca fait des semaines que tu l’aurais fait. – Je ne voulais pas…reprit-je hésitant.
– Ton ami m’a tout avoué. Mieux, le spécialiste que nous avons consulté a confirmé. Tu ne peux pas procréer, Cossi tu ne peux pas.
Elle criait fortement. Elle sanglotait aussi. Subitement elle prit la porte et d’une brutalité digne d’une enragée comme elle, s’en alla. Je n’ai même pas eu droit de m’expliquer. C’était un jugement unilatéral. La terre tournait à mes yeux. Je me laissai choir sur le lit complètement sonné. Je ne savais plus quoi penser. Je regrettais de lui avoir menti sur les résultats des tests. Je les ai truqués exprès dans l’intérêt de notre couple et pour l’amour que j’avais pour elle. Il ne fallait pas qu’elle sache de sitôt que notre couple n’avait pas de chances d’avoir de descendants biologiques. Aujourd’hui, elle jette le tort sur moi parce qu’elle a appris de la bouche de mon meilleur ami que j’étais stérile. Mais que dira-t-elle quand elle réalisera qu’elle aussi n’avait pas les aptitudes pour avoir d’enfants ? Elle versera de chaudes larmes à en mourir. Si j’ai opéré des manigances sur les résultats c’est pour ça, c’est pour qu’elle ne succombe pas. Un couple dans lequel les deux époux sont stériles, dans les oreilles, ça sonne mal. Elle ne m’a pas donné la possibilité de tout lui avouer en même temps. Elle s’en est allée. Je pleure aujourd’hui seul sans espoir. Elle pleure certes dans l’espoir de faire prochainement un enfant. Et quand elle découvrira la vérité selon laquelle elle non plus n’était pas faite pour en porter un dans son ventre elle pleurera encore cette fois sans espoir comme moi aujourd’hui. Pourtant sans enfants je suis convaincu qu’on serait heureux.
FIN
Ferdinand Mitombahou