Le titre du recueil m’a fait penser d’abord à un autre du paysage littéraire béninois, L’Os du silence de Rodrigue Atchaoué. Une poésie placée sous le sceau du silence ? Me suis-je posé comme question. Mais hélas, c’était vite aller en besogne. Vile précaution en effet, car la poésie est par excellence, ce qui surprend le plus. Je ne devrais pas l’oublier.
C’est dans la moiteur d’un soir calme comme le silence, au moment où le crépuscule roule sa lueur diffuse, que j’ai commencé par « écrire» Dessins de silences à ma manière. C’est d’ailleurs un vœu épigraphique de l’auteur que je tenais à exaucer. Réfugié au fond du silence, j’écris au courant du temps. En fait, je lis en dessinant les mots, pour « faire un livre ».Mais attention, vous verrez :« l’audace d’affronter les mots se paie cher » (p. 62), me rappelle le poète. J’ai pris bonnes notes ! Maintenant, je dois avouer ce qui me brûle depuis : Habib Dakpogan est avant tout, rhaps-ode. Il chante avant tout. Au temps d’Homère comme à notre ère, cela a d’importance. C’est l’impression qui se dégage de ma lecture. Et à ce titre, Habib est essentiellement poète. Il nous en donne la preuve à travers ce recueil. Il sait écouter et choisir le timbre des mots. Je connaissais l’homme à multiples casquettes. Je buvais déjà l’homme sous d’autres formes, surtout sa gouaille inventive et son humour décapant à vous arracher un sourire motivé. Mais paradoxe ! Pour qui sait pourtant que la poésie est avant tout, chant (je convoque Senghor à la barre !), je n’ai jamais approché le musicien voire le calligraphe-plasticien au sens strict du terme. Qu’importe. Or, l’histoire nous ramène des échos d’influence : il y a souvent complicité entre les Beaux-Arts et la littérature ; pour qui sait que l’artiste, en tant que créateur, doit repenser la représentation de la réalité dans ses tableaux en puisant sa matière dans d’autres formes et en y insérant ses sentiments de manière subjective. Là est la poésie même, celle qui promeut, et où lyrisme se mêle à la fantaisie.Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que ce mot est de la même famille que fantasme. Voilà que le coup de pinceau du poète-calligraphe ou calligraphe-poète, hésite, rebondit sur des visions fulgurantes du monde contemporain, cherche à « dessiner /les effluves qui circulent /entre nos envies d’aimer… » ( p. 13) pour nous remettre le feu du silence !
C’est sans précaution aucune, que je suis entré dans Dessins de silences, en fait pour l’écrire à ma manière. Comme le souhaite l’auteur. Un premier livre, intitulé « Itinéraire », s’ouvre sur un poème-programme. Un poème-alchimie en fait. Ici, le poète parle de sa quête de l’absolu, de l’infini, du vide, du sourire « pour que le granit de la minuterie n’ankylose pas les passions » (p. 18). Habib Dakpogan veut être « l’Autre », et même traquer le vertige pour « subvertir l’instant, être faiseur de poussière sur le mur astiqué des certitudes » (p. 15). Ainsi, les cinq poèmes qui composent cette première partie, constituent une sorte de livret d’opérette où la succession des mots, malléable et transformable, rime avec le rêve, la magie de la musique, l’imbrication des corps qui se font « accords », la danse d’une femme ( sensuelle ou dangereuse ? ) pour faire tomber la hargne et les passions tumultueuses, (« Que le monde en lambeaux s’immole/ et surgeonne à perpète au milieu de ton jardin » p. 23), et vivre dans l’apaisement des grandes harmonies.
Mais le deuxième livre, « Au dernier croissant, ne viens pas »,m’a fait penser à La femme où j’ai mal du poète camerounais Paul Dakeyo et plus près de nous, Tes lèvres où j’ai passé la nuit de Daté Atavito Barnabé-Akayi. Allez-y comprendre quelque chose. Plus qu’un jeu verbal, je me retrouve à lire une partition,narrativement musicale où le poète-calligraphe ou le calligraphe-poète inspecte la femme inspiratrice, dans ses infinies aspérités, ausculte avec son « pinceau » son corps qui parle dans tous les sens (« Elle était une facette du grand silence. Une aube plate où l’on pouvait glisser jusqu’à l’océan…et au-delà »)…Non, je ne vais pas m’arrêter là. Douleur, souffre-douleur, « elle fut Femme…avant d’être tant à terre. ». Et le rhapsode en fait un portrait…je dirai toute une vie !
Égrenés comme des grains de chapelet ou de maïs, les poèmes réunis dans les trois ‘’livres’’ qui font ce recueil, sont écrits sur le fil ténu, mais combien solide du silence, et précédés pourtant d’un ‘’sérieux avertissement’’ du poète, qui sonne comme une invitation (ou peut-être une invite ?) à explorer les possibilités figuratives du magnifique bouquet de fleurs que le lecteur a en main.
Bouquet de fleurs, disais-je ! Rococo comme expression. Mais cela l’est surtout à travers les bouts de calligrammes et de dessins qui émaillent et rythment l’ensemble. Habib, tel Guillaume Appolinaire, nous livre une poésie illustrée et lustrée dans une résonance vibratoire, en même temps qu’une orfèvrerie d’hom-mages. L’absence du maître, (Hervé Gigot) lui a fait senti l’impérieuse nécessité de « tout redessiner »(p. 66), c’est-à-dire de « refaire le chemin des traits. » (p. 68) pour peindre l’inexploré. Aussi, à travers « Non requiem pour un astre d’eau », c’est un acte d’hommage à Fernando d’Almeida, poète camerounais d’origine béninoise. Sa mort subite, inspire à Habib, ce poème où il intériorise la fragilité de la vie mais « cherche les trois syllabes d’argent [Fer-nan-do] posées au large de l’éternité… » (p. 61) pour faire vivre l’Inexistant à jamais.
Mais c’est connu : la poésie peut être transmise avant d’être comprise. Habib Dakpogan le sait très bien. Plus qu’un baroud d’espoir, sa poésie est aussi une invite à être entièrement homme, un plaidoyer pour un regain d’humanité dans un monde absurde, vide de sens et de morale. Car, au final, il y a de quoi avoir l’eau à la bouche. Faites-vous plaisir en ouvrant ce magnificat poétique. L’instant d’un isolement, et vous verrez. Habib Dakpogan infuse, par le biais du dessin et du mot, une vision rhapsodique à la poésie, une espèce de ruée, d’écoulement empreint de flamboyances vives, de traits, de félicité, d’amour, et qui se fait écho sonore dans l’âme comme dans le corps. Ainsi, telle une pièce instrumentale, Dessins de silences sonne le glas des dérives de la société, de ses atrocités, en distillant de l’harmonie dans l’ordre de la vie humaine pour une accoutumance à la vérité des enfants c’est-à-dire de « ceux qui n’ont rien demandé ». Et pour ceux qui diront que la poésie de Habib Dakpogan est hermétique, je leur renvoie à cette boutade de Tchicaya U Tam’si: « les clefs sont sur la porte ». C’est-à-dire dans les titres.
Bonne lecture !
Grégoire FOLLY.
Super cher Grégoire pour cette opération littérairement chirurgicale sur Dessins de silence.
Tu m’as convaincu à courir « écrire » cet ouvrage avec mes silences qui se dessinent sur ces pages de mots.
Réel plaisir.
Merci à l’auteur (écrivain Habib) pour cet ouvrage très enivrant. Un recueil méditatif où le silence des mots discute avec vous tout au long de l’aventure(écriture-lecture ).
J’aimeJ’aime
J’ai lu ce compte rendu en silence. Merci Grégoire. Merci à l’auteur pour ces merveilleux dessins. Je suis toujours silencieuse.
J’aimeJ’aime