<<Désastre, parlez_moi du désastre, parlez-m’en>> écrivait Léon Gontran Damas dans son poème le « hoquet ». Sa voix n’est pas tombée dans le désert. Les siens ont répondu à son appel de la manière la plus belle. Le désastre en Afrique, le désastre au Bénin. Habib Dakpogan écrivain béninois nous en montre huit clichés à travers son recueil de nouvelles Etha contest publié aux Editions Plurielles en janvier 2016. Dans ce livre, ça crit, décrit, narre, ordonne et conditionne le » désastre » car l’auteur fait sien les maux qui tuent lentement son pays comme l’alcool tue lentement son buveur ambulant, pour mettre du mercurochrome dans les plaies infectées par l’amour, les réseaux sociaux, la corruption et surtout le pouvoir, histoire de leur fermer la gueule et alerter le reste encore bien portant du danger qui circule. Parcourons ces lignes.
1-Panorama
Au commencement était « Un Piège à cons », la toute première nouvelle dans laquelle le président Touchaud Zozopiapia intimide ses ministres avec de l’argent: << Peu importe d’où tu viens, lorsque tu arrives dans les couloirs du pouvoir, nez à nez avec l’argent frais, il ne faut plus bavarder.>> affirmait fièrement le ministre chargé de l’innovation dans les processus de management des sociétés d’État. Drôle de titre n’est-ce pas?
Son excellence Touchaud, après avoir remarqué la sournoiserie dans les concours et la faillite du budget national dû au détournement de fonds par les nombreux ministres circonstanciels, convoqua une conférence au cours de laquelle il les vira un à un après avoir dit le péché qu’a commis chacun d’eux. Le gouvernement fut alors dissout en trois demies heures, puis, rétabli en une demi-heure après quelques secondes de réflexions. Fatigué des magouilles de son excellence, le ministre des ondes communicantes voulut démissionner pour convenance personnelle. Cela lui sera-t-il accordé?
Au moment où eux ils courent après des liasses de billets, quelqu’un prenait délicatement soin de la pièce de 25f dans « Mariam Dicoh » la deuxième nouvelle. Ce narrateur anonyme a utilisé tous les beaux mots pour montrer combien l’amour est fort intense entre sa chérie et lui. Sa Mariam Dicoh dont ses amis se moquaient parce qu’il la trouvaient laide. Mais « La vrai beauté vient du cœur » disait l’amoureux. Mariam Dicoh l’a toujours soutenu que ce soit en saison sèche ou pluvieuse, au moment des famines passagères… non, il ne peut s’en passer. C’est une histoire d’amour mystérieuse. Étant en règle, parlant de la sécurité routière, l’agent de sécurité après avoir joué au boss et au gardien de paix avec lui se mit à demander de l’argent au point de se transformer en monnayeur. Il lui rendit la pièce de sa monnaie. Il s’est servi de sa Mariam Dicoh pour lui donner une belle leçon. Mais c’est qui cette femme mystérieuse?
Bon, passons! Là-bas se tient une grande compétition : l’ « Etha contest « , la nouvelle éponyme.. Djoguétchédo et Aminon, des soûlards baptisés, communiés, confirmés et engagés osent s’affronter en 4 heures devant un fou public dans un bar et prétendent boire 72 grandes bouteilles de béninoise. La compétition de l’alcool fut très intéressante car les deux candidats lançaient en l’air de belles citations. Et cela augmentait leurs points de chaque côté. Des soûlards cultivés: << L’alcool est le pire ennemi de l’homme, mais la Bible nous enseigne d’aimer nos ennemis, Franck Sinatra>>; << Un homme intelligent est parfois forcé de boire pour pouvoir passer du temps parmi les imbéciles, Ernest Hemingway >> Des bouteilles vides tombèrent. Il y eut des coups francs, des pénaltys et même une mi-temps. A la fin du jeu, ils étaient tous deux à égalité : 72 béninoises plus 13 citations. Il faut une prolongation pour connaître le gagnant. Une ligne droite de 20 mètres fut tracée. Les deux soûlards révélés se mirent à marcher. Pas à pas! Djoguétchédo gagna très péniblement. Mais pourra-t-il célébrer cette victoire?
Pendant ce temps, la go Mélissa se vantait d’avoir trouvé l’homme idéal, le plus mignon. Il l’a rencontré sur les réseaux sociaux. L’amour est déjà considérable pour qu’ils organisent un « Rendez-vous unique » . Rendez-unique est la quatrième nouvelle de ce merveilleux livre. Mélissa après avoir décrit tout l’effet que lui fait son mignon Yann et s’être moqué de l’habillement de son ex Marco, prit près de cinq heures de temps pour s’apprêter pour le rendez-vous. Elle sort pour tuer. Hélas, une autre fille l’a devancé . Yann les draguait toutes deux au même moment. Elle se demande si elle doit appeler son ex Marco ou pas…
En attendant qu’elle trouve une solution à son problème, il y a d’autres impératifs à régler dans le pays. Le centenaire des indépendances est proche. « Le centième discours » sera donc prononcé. Mais le pays se porte très mal : <<Pour chapeauter le drame, la mer avait recouvert la moitié d’Akpakpa.>> De plus, la famine battait son plein… La population s’était donc résolue à faire une grande marche le jour même de la fête d’indépendance pour crier sa grande déception. La présidente Lyse Dogbé que les citoyens aiment appeler « la petite » avait préparé un discours historique pour apaiser le cœur de tous. Après avoir cité presque tous les présidents précédents et les problèmes qu’ont laissé traîner leur gouvernance, elle achève : << Béninoises, Béninois, pour notre bonheur à tous, j’ai décidé de vous dire que ce centième discours d’indépendance est celui du grand départ, le départ du grand train. Le train de la dignité et du progrès définitif. Aucun de nous n’a le droit de le rater…>> Les citoyens ont oublié leur estomac pour applaudir et : << La tension sourde qui régnait quelques instants plus tôt se transforma en une fête populaire.>>
C’est la fin des problèmes ? Non! « Madame Matrix » vient. Awa est une jeune fille âgée de 18 ans. Son amant Johnny qu’elle proclame déjà mari sans bien le connaître lui a offert une belle Matrix. <<Quel simple fiancé, de nos jours, avait encore l’attention nécessaire pour louer et meubler un appartement, puis acheter une Matrix à une fille?>> se disait-elle. C’est le jour de l’anniversaire de leur rencontre. Awa sétait bien mise et avait pris sa belle Matrix très fière. Arrivée au carrefour Lègba, une dame la cogna par derrière avec une Honda. Awa en fait une grande histoire, insulta la dame dun certain âge puis appela son mari Johnny. Mais ironie du sort, Johnny n’est personne d’autre que Jean, saint Jean le mari de la seconde dame. Le mari est venu. Les deux femmes se regardent. Les zemidjamans ont conclu.
Et l’avant dernière nouvelle se pointe. Est-elle bonne ou mauvaise ? En tout cas une femme jalouse émascule son mari. « Moi, moitié de moitié » . La narratrice aime un homme marié qu’elle a surnommée après plusieurs acrobaties : Toussaint-Louverture. Lui aussi aime sa maitresse au point de vouloir la prendre pour épouse officiellement. La cérémonie de dot fut programmée. Les préparatifs allaient bon train lorsque Toussaint-Louverture devint injoignable à quelques jours de la cérémonie.Inquiète, l’amante essaya tout pour le joindre. Mais le portable était toujours éteint. Quelques instants après elle reçut un message WhatsApp: <<T’inquiète, il ne viendra pas ce soir, ni après. Ta lune de miel est finie avant d’avoir commencé. Loooool.>> Panique. Tout était clair. Cela venait de la moitié de son quart. Elle le prit sportivement mais se demande ce qui est bien pu lui arriver. C’est alors qu’elle se rendit sur la page facebook de la femme de son amant. Elle y découvre un post parlant de castration.
Un problème de pain? Nous ne saurons le dire…toujours est-il que la dernière nouvelle est « Un problème de pain ». Le président Domato Yiniboya suit à la télé le journal télévisé dans lequel son prédécesseur Nicodème Glosso, interrogé sur la crise que connait son régime a tout simplement répondu :<<C’est un problème de pain>>. Cette phrase troubla tous ses nerfs qui se levèrent l’instant d’après. Il chercha à connaître le pain dont il s’agit…socol ou sucré… il ne savait plus trop quoi penser. Après plusieurs tentatives de compréhension, il se rendit finalement chez son doyen pour en avoir le coeur net. Celui-ci lui expliqua avec ironie que lorsque le peuple a faim, il ne peut avoir de tranquillité dans le pays : <<Le peuple est là pour manger et vivre en paix. Il n’est pas là pour tes beaux yeux, ni pour savoir si tu es scandalisé ou pas.>> Yiniboya sortit le cœur plein d’amertume. Sur la voie, il reçut un coup de fil… C’est le doyen: << C’est bête de perdre un mandat consécutif… Ce n’est pas toi qui votes mais c’est toi qui organises>>. Il sourit.
2- Style
Le pouvoir, l’amour, la corruption, l’alcool, l’argent et la femme sont des thèmes sur lesquels s’est axée cette écriture de Habib Dakpogan. C’est le genre de livre qui te fait d’effet comme un conte de fée et tu te laisses aller. Comme Mélissa dans « rendez-vous unique »; tu en tombes amoureux dès le premier mot. Tant le style est direct, tant les mots sont pesés sur balance pour exprimer ce qui est et ce qui devait être. L’hyperbole a atteint son paroxysme dans Etha contest : << Seigneur Dieu, s’il est vrai que tu as dit qu’avec la foi on peut déplacer les montagne, pardon, je suis à genoux, donne-moi la force de déplacer cette bouteille jusqu’à ma bouche. Je sais que tu n’aimes pas ce que je fais, mais je t’assure que ce serait la dernière fois. Tcho, Seigneur, je t’en supplie, awo Sessè je t’en conjure.>> et l’ironie s’est fait reine: <<Je t’avais dit que l’ère de la femme au pouvoir n’est pas encore arrivée au Bénin…>>. De Un piège à cons à Un problème de pain, l’écriture n’a pas connu de fatigue. Elle est restée colosse avec la même énergie. Des mots voraces s’entassent pour montrer nos misères psychologiques, physiques et sociales. Le recueil débute par une affaire de gouvernance, prend par là au milieu et finit encore par le même problème. Et parlant de pouvoir, il y a des noms qui nous disent quelque chose: Touchaud Zozopiapia, Lyse Dogbé, Yiniboya, Yayi Boni etc .L’auteur s’arme d’humour pour dire des vérités qui méritent d’êtres sues par tous. Depuis que je lis Habib Dakpogan, dans sa prose je l’ai toujours trouvé stylistiquement assez simple, débridé, cocasse, humoristique, drolatique et prolixe pour ne pas dire protubérant. C’est ce qui prime sur sa satire, ses peintures et ses prosopographies sociales et ludiques. De l’infamante République où le style semble un peu novice, tâtonnant jusqu’à Etha Contest où il s’est perfectionné en passant par PV SALLE 6, Habib Dakpogan est resté Habib par sa marque déposée Dakpogan qui le caractérise, permettant à qui le boit de l’identifier même en le lisant les yeux fermés.
Ce sont huit histoires édifiantes, huit perles mal logées qui définissent le Bénin du vingt-et-unième siècle. Ce sont huit pagnes sales, ramassés dans nos rues, lavés et qui attendent d’être séchés au soleil pour devenir plus utiles et plus vivables. Des nouvelles dignes du nom car la fin vous laisse toujours sur votre faim. À vous de voir! Etha contest, Savoureusement.
Belkis Hounkanrin
Le compte rendu est aussi appétissant et jouissif que le livre lui-même… Je salue le travail du professeur.
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merci monsieur Amegan
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Excellent post qui récapitule bien le livre. J’aime !
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