L’auteur
Né à Porto-Novo le 19 aout 1974, Habib Dakpogan est musicien, peintre, spécialiste des ressources humaines mais surtout et c’est ce qui nous intéresse écrivain.
A ce jour, sa bibliographie se résume à quatre ouvrages à savoir :
- Partir ou rester, l’infamante république, Editions Ruisseaux d’Afrique, 2006 ( Prix SILCO 2008) ;
- Pv salle 6 Star Editions, 2013 ( Prix du Président de la République 2015) ;
- Etha contest, Editions plurielles, 2016 ;
- Dessins de silence, Venus d’ébène 2017.
Aujourd’hui, j’aimerais vous parler du tout premier ouvrage de l’auteur.
Titre : Partir ou rester…. L’infamante république
Genre : Roman
Nombre de pages : 169
ISBN : 9789991953427
Année de parution : 2006
Auteur : Habib Dakpogan .
Résumé de l’œuvre.
« Élucubrations frustrantes du frustré que devient tout fonctionnaire avant d’avoir la vraie carte d’accès au territoire de l’apatride »
Quand Fifa réussit au concours d’entrée à la fonction publique, la joie est de courte durée. Elle doit en effet abandonner son mari (le narrateur) et leur fille de quatre ans pour rejoindre son poste à 800 kilomètres de Zounkodaho, à Totaligbé, une ville au Nord du pays.
Le couple est mis devant le fait accompli et la douloureuse séparation s’opère. Seulement une relation à distance doit s’entretenir ! Après avoir utilisé les lettres, et ensuite les téléphones publics pour être en contact, c’est au téléphone du service qu’ils ont recours à présent pour échanger.
Le narrateur étant lui-même fonctionnaire, les deux époux discutent de longues heures jour après jour sur la fonction publique, son mode de fonctionnement.
C’est l’occasion pour lui de tirer à boulets rouges sur un système dont il fait malgré lui partie : l’administration publique. Il en fait un tableau au vitriol qui choque et indigne.
Dans un style très satirique, un mélange d’humour (forcément noir) et d’autodérision, il expose à sa femme sa vie de fonctionnaire et de ses misères quotidiennes.
Finalement, il trouve un emploi dans le privé tandis que sa femme restée dans l’administration publique obtient une belle promotion.
L’infamante république à laquelle fait référence le sous-titre, c’est donc aussi l’Administration publique, de laquelle le fonctionnaire est appelé à se demander s’il faut « partir ou rester ! »
Les thèmes :
Le roman a pour objet et cadre l’administration publique.
Les thèmes comme la corruption, le népotisme, le détournement de deniers publics , le défaut de conscience professionnelle sont mis en exergue.
Les conditions de vie du fonctionnaire sont aussi exposées et elles sont misérables !, « Dans l’administration publique nous sommes condamnés à la misère.» p99. L’infamante république est donc aussi affamante…
Les fonctionnaires reçoivent des salaires aux lance-pierres, c’est cette misère matérielle qui va faire perdre toute dignité et le plonger dans une misère morale qui se manifeste par d’autres pratiques comme la corruption, l’absentéisme, le détournement de biens publics.
Ainsi, des salariés laissent le travail de l’État pour vaquer à leurs propres affaires personnelles tout en se faisant représenter par leur sac.
L’abus du bien public – par exemple utiliser le téléphone du service pour des conversations privées, ou ramener des fournitures du bureau chez soi – est aussi l’un des thèmes du livre.
Les personnages.
Partir ou rester ressemble à une nouvelle longue. L’auteur fait intervenir très peu de personnages mais chacun d’eux est très marquant.
Le narrateur : agent de l’administration publique. Il ne se sent pas valorisé dans son service, son salaire est insuffisant. Séparé de sa femme, il utilise le téléphone du service pour la contacter. Au départ, il était intègre mais peu à peu les réalités du terrain ont commencé par lui faire perdre de son honnêteté. Il finira par trouver un poste dans le privé mais compte bien toujours percevoir le salaire du public.
A aucun moment le narrateur ne donne son nom. C’est pour montrer qu’il est un fonctionnaire comme un autre et ce qu’il vit est généralisé.
Fifa : jeune fonctionnaire, c’est la femme du narrateur ; séparée de sa famille à l’occasion de sa première prise de service. C’est un modèle de patriotisme, une mine de vertus. Elle essaie de raisonner son mari et de lui donner un peu d’optimisme. Elle aura été jusques au bout intègre. Tout en restant digne et intègre, elle a été promue. Moralité : parfois, les bons gagnent.
Hervé : copain d’amphi du narrateur. Il a échoué au concours d’entrée à la fonction publique mais a eu par la suite eu la chance d’être embauché par une entreprise de construction. Il a une situation financière très enviable. Contrairement au narrateur qui roule avec une moto mate en panne les deux-tiers du temps et « symbole vivant de sa misère de fonctionnaire » (p.38), Hervé roule dans une belle voiture, mange à sa faim dans des grands restaurants et entretient ses conquêtes féminines.
Ce qu’il faut retenir du parcours d’Hervé ? Si quelqu’un veut devenir riche de façon honnête, qu’il n’entre surtout pas dans la fonction publique !
Romain : collègue du narrateur. Ils sont dans le même service. Romain est le prototype du fonctionnaire toujours absent à son poste. Il délaisse son bureau pour s’occuper du kiosque qu’il tient en ville. Il ne vient au bureau que pour téléphoner.
C’est le fonctionnaire débrouillard obligé de cumuler les boulots pour survivre parce que son salaire n’est pas à la hauteur de ses besoins.
Un peu de toponymie :
Partir ou rester a pour cadre un pays imaginaire. Mais le lecteur attentif reconnaitra forcément les réalités du Bénin et des pays africains en général.
Les noms des lieux sont en fon, la principale langue parlée au Bénin et ils ne sont pas anodins.
Mibinadou ;qui signifie « Nous allons tous manger. » Allusion faite à la nécessité de se débrouiller si l’on veut vivre dans ce pays, véritable jungle.
Zounkodaho : « Grand tas d’ordure». En référence sans doute à la pollution de la ville.
Quelques citations.
« Administration et talent n’ont jamais fait corps ensemble ». p56
Lorsque la question de survie est l’unique objet de réflexion, il est évident que l’évasion livresque est du domaine du superflu. » p 63
« Nul ne devient lion sans raison.» p66
« La politique du sac consiste à se faire représenter par son sac et à vaquer à ses occupations personnelles.» p.70
« Le zèle est le cancer de l’administration et pour une simple raison : tout zélé est à la recherche de la reconnaissance de son zèle. Il veut non pas servir, mais être taxé de serviable.»p 100
« L’administration est une école sans maitres, comme l’école de la vie. Les plus instruits sont les victimes et les observateurs impartiaux.» p.141
Partir ou rester, quand Habib Dakpogan, tire à boulets rouges sur l’Administration publique !
Sans langue de bois et sans concessions, l’auteur à travers son narrateur expose les maux de l’Administration publique. C’est un livre qui ne laisse indifférent ni usager ni agent de l’État. Il se veut ‘ » un cri d’alarme poussé par un souffle qui se veut purifié de toute tendance ».
Ce livre m’a rappelé un cours reçu à l’École Nationale d’Administration et de Magistrature ( ENAM-Bénin) sur ‘l’anthropologie de l’administration béninoise.L’auteur a aussi fait cette école et connait bien la fonction publique.
En un sens Partir ou rester est un livre engagé. Il invite à de meilleures pratiques dans les administrations.
C’est un livre essentiel à lire pour entrer dans l’univers de l’auteur.
C’est en effet dans Partir ou rester que Habib Dakpogan met en place la pierre angulaire de son écriture : humour, dérision, sarcasme.
Au sujet de cet humour abondamment présent dans ses ouvrages qui suivront , l’écrivain confie dans une interview accordée à votre blog : « L’humour est devenu pour moi un remède forcé à la tristesse. L’humour fait passer les nouvelles amères. L’humour est une forme d’intelligence que j’essaie de cultiver .»
Avez-vous lu ce premier roman d’Habib Dakpogan ? Quel regard portez-vous sur l’administration (la fonction publique) dans votre pays ?
Désiré Godonou
Une réflexion sur “Partir ou rester…. L’infamante république de Habib Dakpogan : une caricature de l’administration publique !”