Prenez un western classique. Remplacez le désert par un relief proche du ciel par les montagnes ; substituez les chevaux à une moto routière irrattrapable. Faites du shérif un policier brutal et concupiscent et ajoutez-lui une petite cour de comparses dédaigneux de toute contrainte éthique. Placez au cœur de cette ménagerie une jeune fille délurée aux allures de bimbo, et un vieux poète à la complainte mélancolique. Mettez au comptoir de l’unique bar une Chinoise servant une liqueur atypique, rougeâtre et fort enivrante. Qu’obtenez-vous ? Quelque chose de purement béninois, customisé Natitingou, affecté d’un doux relent d’éthanol bien distillé. C’est du Western Tchoukoutou, dernier roman de Florent Raoul Couao-Zotti, paru aux Éditions Gallimard en février 2018.
Pourtant, attention. Ceci n’est pas un roman ; c’est un film, un feuilleton déjanté de 18 épisodes fous. Mais ceci n’est pas un script, c’est un roman, une fresque multicolore qui débute comme un conte, se promène comme une fable, et s’achève en mélodrame.
UN THRILLER PARTI D’UNE ROMANCE RATÉE
A Natitingou City, tout allait au mieux dans le meilleur des mondes. Tout coulait doucement comme du tchoukoutou et la vie était là, simple et tranquille au sens de Verlaine, dans ce paradis vert, rocailleux, ensoleillé comme tout Eden tropical qui se respecte. Tout allait au mieux… à part quelques aspérités pas vraiment graves, dues à la collaboration douteuse de trois « têtes de granite ». Il y avait Ernest Vitou, le propriétaire du Saloon du Desperado, le plus célèbre débit de tchouk de la contrée. Homme d’affaires prospère, il était en permanence affublé de sa petite Chinoise d’épouse au nom bref et guttural de Xuo Luo ; il y avait Cherif Boni Touré, le shérif du coin, inévitablement lesté de Kadhafi son révolver ; il y avait Al le Cowboy sans cheval dont le chapeau pointu avait plutôt rapport avec le berger peuhl qu’il était.
Le tchouk passait dans les gorges et irriguait tranquillement le calme ruisseau de ce Natitingou City sans histoire, jusqu’au jour où apparut la plus intrigante des créatures que les montagnes de l’Atacora aient jamais pu produire : un tendron pas si tendre que ça, bottines pointues aux pieds, paire de jambes pulpeuses et postérieur callipyge enchâssés dans un jeans d’un moulant lascif, poitrine débonnaire, maquillage aux allures de graffiti, installée à l’aise sur une imposante routière, avec comme argument de dissuasion… un révolver. Elle s’appelait Kalamity Djane. Certes, côté GPS, nous sommes loin de Luky Luke et des Dalton, mais cette Kalamity déplaçait presque autant de frayeur et d’interrogations que l’anti-héroïne la plus farouche de l’histoire du western, la vraie Calamity Jane.
Le frisson gagna ainsi la jolie ville suspendue, et pour trois bonnes raisons : d’abord la cowgirl Kalamity Djane était la réplique parfaite de Nafissatou Diallo, la femme fatale mystérieusement décédée et enterrée depuis trois ans. Ensuite, Nafissatou fut, jusqu’à sa mort, l’épicentre d’un triangle amoureux très douloureux. Elle avait en effet quitté le poète Dassagoutey aussi épris que romantique, pour s’installer chez l’inspecteur Boni qui n’en paraissait pas particulièrement entiché. Enfin, Djane, sortie de nulle part, était partie au bar Desperado déposer sa déclaration de vengeance auprès de Xuo Luo.
Commença alors une enquête rocambolesque sans dépôt de plainte, où l’inspecteur lui-même est le premier suspect, où la victime d’hier devient la cible. Une course poursuite folle s’engagea contre une créature chimérique trônant entre rêve et réalité, et nourrissant elle-aussi de sérieuses intentions de meurtre à l’endroit de ses poursuivants.
UNE THÉMATIQUE ANCRÉE DANS LA DOXA
Le prétexte du revenant n’est nouveau ni dans le western ni en littérature. On se souvient de The Revenant d’Alejandro González Iñárritu avec Leonardo di Caprio dans le rôle de ce trappeur qui sort d’une tombe où on l’avait enterré, et revient régler des comptes. En littérature, on connaît au moins Charles Dickens et Hilaire Dovonon avec leur spécialité des fantômes : revenants traditionnels, apparitions prémonitoires, esprits frappeurs, puissances des ténèbres, figures de la hantise révélant des cas troublants de paranoïa, de dédoublement de la personnalité ou encore d’hystérie. Mais la particularité de Western Tchoukoutou est que contrairement à The Revenant, l’héroïne ici est vraiment trépassée et devrait normalement devenir omnisciente comme le voudraient les inconscients collectifs de dessous les Tropiques. Or Couao-Zotti, rompu à l’art du polar, ne donne pas à Djane l’occasion de livrer les clés du suspense qui empoigne le lecteur dès les premières pages. Nous suivons la Kalamity de bout en bout dans sa soif de vengeance tout en prenant parti pour le pauvre artiste privé de sa bienaimée et qui ne se contente que d’apparitions furtives ou d’une scène d’amour trans-dimensionnelle.
UN UNIVERS ENJOUE, DÉLÉTÈRE
Sur fond de tchoukoutou, le western est total, le voyage garanti. Le système du trio controversé, comme dans tous ces films qui nous ont tenu compagnie de longues heures d’adolescence ( Triger Pal, Desperate Trails, Le Bon, La Brute et le Truand, Three Godfathers ou The Three Mesqueeters ), se lit clairement dans Western Tchoukoutou, mais il est davantage naturalisé, adapté au contexte local, invitant des personnages que nous croisons tous les jours, dont les noms appellent des icônes plus ou moins charismatiques. Ainsi le poète et chanteur Dassagoutey rappelle un autre chanteur et poète Dassabouté originaire du Nord du Bénin ; Pélagie Lallumeuz serait-elle une parodie de Pélagie La Vibreuse, une chanteuse béninoise toute en pulpes et en vibrations, promotrice d’un jeu de hanches à polémiques ? Et si la Nafissatou Diallo de Western Tchoukoutou n’était qu’une caricature de la victime improbable de DSK ? Peu importent les motivations de cette onomastique paronymique déboutonnée, elle n’a contribué qu’à alléger une ambiance rugueuse, rafraichir l’atmosphère pesante de la criminalité.
LA BEAUTÉ COMME ÉNERGIE FÉDÉRATRICE
La beauté est omniprésente dans ce livre. Beauté du paysage, à travers de magnifiques descriptions menées avec une précision et une clarté toutes parnassiennes, et beauté des vers du chanteur Dassagoutey, chantant des complaintes désespérées avec de lumineuses images. Nous sommes loin des toiles misérabilistes qui renvoient des clichés surannés d’une Afrique au bord du gouffre. Le manque d’attache politique, la quasi-atemporalité de l’œuvre, servent largement sa brillante esthétique.
Il ne vous reste qu’à allumer à votre tour votre Western Tchoukoutou et dévaler sans fatigue 165 pages de bonheur. Sourires, éclats de rire, écarquillements d’yeux, sursauts intempestifs, remuages de tête, vous attendent à chaque détour.
Mais en définitive, qui a tué Nafissatou Diallo… Et qui est Kalamity Djane ?
Habib Dakpogan est poète et écrivain béninois. Il est l’auteur de :
-PV salle 6, Prix du Président de la République 2015,
–Partir ou rester : l’infamante république
Avec humour et légèreté il décrit les mœurs de sa société et de son époque.
Une réflexion sur “Western Tchoukoutou de Florent Couao-Zotti lu par Habib Dakpogan”