
Mélissa a pollué mon sommeil de peur. Et depuis, je ne fais plus de différence entre rêve et réalité.
La sortie de Mélissa de chez elle rimait avec le soufflement d’un vent violent, le soleil s’arrangeait pour ne pas sortir. Les jeunes hommes du quartier avaient jobbé de toutes les manières possibles pour avoir une montre collée à leurs poignets ; il fallait suivre l’heure de près pour ne pas rater un événement très important de la journée ; il fallait voir Mélissa passer ; sa tête, surtout ses yeux ; son élégance vestimentaire, surtout sa démarche tambour. On ne leur racontera pas cela. Les mots ont beau tout faire mais ils ne pouvaient pas selon ces jeunes garçons, décrire tout ce que Mélissa trimballait comme beauté. C’est bien cela ce que traduisait leur comportement que je nomme ‘’la gourmandise des yeux’’. Ainsi chaque midi, ils s’alignaient de part et d’autre du carrefour ‘’Y’’ pour saluer le retour de l’école de la reine du quartier. Le soir c’est pareil. Beauté rebelle. Si tu étais là, tu donnerais ta vie pour elle.
Nous étions copines Mélissa et moi. On faisait tout ensemble ; on apprenait beaucoup ; elle était deuxième de notre classe et moi la cinquième. Les hommes nous convoitaient comme il n’était pas permis mais notre forte éducation reçue nous servait d’arme. J’avais 17ans, Méli aussi.Nous n’étions qu’à une semaine de l’examen du baccalauréat. Il fallait redoubler d’efforts, être positives ; bien se comporter, prier beaucoup, respecter les parents et surtout se reposer dès que le besoin se faisait sentir. Ma copine et moi avions respecté tout cela.
C’est la veille de l’examen ; sac-carte d’identité nationale-argent-convocation etc. Tout était au point pour le jour J. Il sonnait 21 heures quand je m’allongeai sur le lit. Le rêve n’est pas obligé d’être juste avec ceux qui le sont. Cher lecteur, vois avec moi ce qui est arrivé à Mélissa dans mon cauchemar :
Le soleil était plus beau que jamais. Le vent avait l’air d’avoir une commission pour les candidats ayant été au BAC. Mercredi 12 JUILLET 2014 ! La nature était à moitié gaie, à moitié triste. A chacun de choisir l’itinéraire qui l’arrange. Le CEG Toffa grouillait de monde. Méli et moi étions de la partie. Les yeux hagards, oreilles tendues, battements de cœur en petits follets ; ça s’appelle stress ! Que va-t-il se passer ? D’autres accusaient leurs oreilles de n’avoir pas été attentives…des pleurs, des crises…La tension montait. Des coups de fil par-ci, des coups de fil par-là. On entendait courage, félicitation, viens dans mes bras. C’était émouvant.
Tout à coup, jury 226 avait vociféré un micro. Ma copine et moi nous tenions par la main. On réclamait le silence mais personne ne nous calculait. Le chien aboie mais la caravane passe. 142-A29-620 Noudjidjlo Mélissa Siyinta ! « Wéééééé ! J’ai le BAC un coup sec…c’est le vrai K.O youpiiiii !> Et le silence revint puisqu’il restait un nom, le mien. Quelques instants après, on entendit encore : 143-A43-243 Ayitoté Biowa Linda. La main sur le cœur, on chantait victoire. Nous étions rentrées ce soir là à 22 heures. Les parents étaient très fiers des deux côtés. C’était la joie dans les deux maisons.
Deux semaines sont passées. La joie d’avoir obtenu le BAC se dissipait petit à petit pour laisser place au souci du choix de la filière à faire. Après maintes réflexions, j’optai pour le journalisme à l’ISMA. Mélissa de son côté ne se décidait pas. La bachelière ! Juste deux semaines et plus personne ne comprenait Méli. Elle avait changé. Ma compagnie l’agaçait et cela se voyait dans ses manières. Oh BAC ! Qu’as tu fait de ma copine ? Mélissa sortait de la maison sans demander la permission à ses parents ; pire, elle rentrait tard dans la nuit. Amour quand tu nous tiens…Les enquêtes avaient montré que ma copine était tombée sous le charme de l’avocat en vacances dans notre quartier et qui devrait repartir au Canada dans un mois pour continuer ses études. Elle mijotait donc dans sa tête, l’idée d’aller continuer ses études universitaires et amoureuses au Canada. Elle me l’a avoué un soir tout en m’interdisant de le dire à qui que ce soit. La douceur avait disparu de la voix de Méli ma copine, ma supposée sœur.
Les jours passèrent en une nuit mais je ne m’en rendais pas compte. Tout semblait si réel. Il ne restait que deux semaines pour Méli. Je lui demandai comment elle compte y aller mais elle me répondit comme les vendeuses de tomate : ‘’vouloir c’est pouvoir’’. Je me mis à rire de toutes mes forces. Cela m’a valu une paire de gifles dont je ne connaissais la provenance. Mais je n’étais qu’avec une seule personne, ma copine Mélissa, ma supposée sœur…Elle m’avait giflé parce que je ne mesurais pas la température des potentiels d’actions qui défilaient dans son cœur. Et puis elle est partie dans la résolution de ne plus jamais m’adresser la parole. Je m’étais mise à couler des larmes de tristesse, l’amertume dans le cœur, je marchai lentement en cherchant dans les cliquetis du vent nos anciens rires en chœur, nos cris de joies lors de la proclamation des résultats. Je m’arrêtai devant la lagune de Porto-Novo. N’ayez pas peur… Ce n’était pas pour me suicider. C’était pour lui demander de me montrer le film de notre enfance jusqu’au jour où nous avons eu le BAC car l’eau est un miroir qui enregistre ; j’y crois fermement. Malheureusement j’ai été déçue parce que la lagune traversa ma demande pour me montrer les préparatifs de Méli pour son voyage. Je vis son amoureux et elle en train de s’enlacer. Méli pleurait à chaudes larmes tout en chuchotant : « je veux te suivre, je veux y aller avec toi« . Mais Éros lui répondit : « je promets de te rester fidèle ma chérie ; s’il te plait je n’ai pas les moyens pour t’emmener avec moi et puis as-tu pensé un instant à la souffrance de tes parents…Ils ne méritent pas ça ; je promets de t’appeler tous les jours, on fera des appels vidéos d’accord ? » Méli se détacha de lui d’un seul geste et disparu d’un seul follet. Je la vis franchir le seuil de sa maison, s’enfermer dans sa chambre sans saluer ses parents. Elle fit une valise, écrivit une demande et s’endormit. Le lendemain matin, elle s’habilla de façon étrange et sortit de chez elle avec la demande. Taxi ! Calavi !avait-elle dit.
Je la vis descendre au bout de quelques minutes. Elle prit zem et s’arrêta devant une université dont je n’ai pas pu lire le nom. Elle y entra et demanda à voir le recteur. Le secrétaire la conduisit vers le bureau. Le recteur depuis son bureau les voyait ; il salivait. Lecteurs, C’est Melissa… ne me dites pas que vous avez oublié ; c’est elle ! Elle est à présent dans le bureau du recteur.
-Bonjour monsieur !
-Oui bonjour demoiselle. Que puis-je faire pour vous ?
-D’abord ; je vous remercie de m’avoir reçue . Excusez moi beaucoup pour le dérangement mais c’est pour une bonne cause je vous assure…
-Sans souci ! Je vous écoute.
-Je m’appelle Noudjidjlo Mélissa Siyinta. J’ai 18ans. J’ai eu mon BAC il y a quelques semaines. Depuis que j’ai mis pied au collège, j’ai toujours voulu faire mes études universitaires au canada…Venant d’une famille modeste, mes parents n’ont pas tous les moyens pour me prendre en charge …J’ai déjà fait l’inscription en ligne et l’université m’a accepté mais quelque chose me bloque et c’est pour cette chose que je suis venue vous voir…En fait il faut avoir un papier attestant que l’on a fait une université de journalisme dans laquelle l’on a été brillante, si vous voyez ce dont je veux parler… il faut la signature du directeur de l’école qui recommandera dans la lettre qu’on vous accepte …J’ai déjà écrit la demande…Il ne me reste qu’une semaine pour régler tout cela. Et Méli se mit à genoux en sanglots
-Mais non ma chérie… calme toi. Tout problème a de solution. Ne pleure pas ; tu es très belle et une beauté, ça ne pleure pas. C’est juste de la signature que tu as besoin et d’un suivi si j’ai bien compris…On va s’arranger Mélissa, tu es très belle tu sais ? A qui ressembles-tu entre papa et maman ?
– Les deux je crois. Je peux compter sur vous ?
-Bien-sur que oui… bon enfin si tu te rends disponible
-Je suis prête à tout !
Je pris ma tête entre mes deux mains tout comme si une pierre la visait…
-Beauté déterminée. D’accord, comme tu es à Porto-Novo je ne vais pas trop te déranger … on se voit demain à 09 heures à l’hôtel Porto la belle. Donne la demande pour que mon secrétaire en fasse la saisie ; tu l’auras demain !
-D’accord merci beaucoup monsieur .On se dit à demain.
Mélissa souriait, elle prit à nouveau un bus puis revint à Porto-Novo. Je l’avais appelé quand son bus fut à mon niveau mais elle ne m’a pas entendu. Je me mis à parler seule tout en sanglotant : Méli s’il te plait ne va pas au rendez-vous de demain. Oh lac ! Et si tu m’aidais à lui transmettre cela ? Le lac ne me suivais pas … Il était dictatorial ! Je vis Méli sortir de chez elle pour aller prendre la signature à Porto la belle.
Habillée comme les filles de nuit, elle partit pour une destination bien connue… Hôtel Porto la belle ! Une chambre bien équipée ! Des boissons de classe faisaient des défilés. Une nourriture dont je ne connais le nom. Ils s’étaient bien régalé. Il faut passer aux bonnes choses.
L’autorité examina le pays bas de Mélissa. Elle prit la signature et disparut le cœur à la fois meurtri et joyeux. Une semaine après, Méli seule dans sa chambre,semblait fouiller dans une valise. Elle y recherchait la signature. Elle ne l’a trouva pas. « »Où est-ce que j’ai bien pu le mettre,ce papier ? « » se demandait elle. Mélissa ne contrôlait plus la situation..Elle balaya toute sa chambre de ses deux mains.Résultat négatif. De grosses gouttelettes d’eau coulèrent de ses yeux. Elle entreprit d’aller revoir l’autorité. Elle enfila un pantalon jean et descendit. L’impatience se lisait visiblement dans sa circulation sanguine. Méli s’était déclarée la guerre sans s’en rendre compte. Elle traversa la voie comme une folle. J’entendis un grand cri multicolore et je vis des femmes courir de part et d’autre pour voir la personne renversée. Je vis un papier blanc tomber de la poche de l’accidentée. J’ai peur !C’est Mélissa. Une ambulance siffla. Le choc était sérieux. Je vis Méli sortir d’elle avec une signature dans la main. Il faut que je fasse quelque chose. Méli attends je viens criai-je. Mais elle était déjà sortie. La signature toujours dans sa main gauche, elle marchait avec peine vers une forêt destinée aux animaux sauvages. Ma voix de sa plus grave contralto déchira en crescendo les quatre vitres érigées en mur qui m’empêchaient de la secourir. Je voulus courir mais la terre s’effondrait sous mes pieds. Épatant ! Je ne pèse que 50 kilogrammes ! Ça m’enfonçait, ma taille diminuait, et je me mis à crier de plus belle : Mélissaaaaaa !
Et ce fut mon retour dans le monde des vivants. L’alarme sonnait déjà. Maman me secouait aussi pour me dire qu’il est six heures : tu as quinze minutes pour t’apprêter car nous devons être au centre à 06h40min. Dans une agonie sommeilleuse je vociférais : « maman, Mélissa ! Tu ne l’as pas vu ? Elle a pris la voie de la forêt des lions à cause d’une signature. Viens maman… couche toi près de moi pour qu’on aille la sauver ».
Soudain, ma mère m’arrangea les joues avec deux gifles en embonpoint puis dit : » Je vais devoir appeler un psychologue pour ta situation… oh Dieu ! Qu’ai-je fait pour que tu me donnes une fille aussi rêveuse que l’eau de ruissellement…même le jour de son examen ; ah pitié ! »
-Mais maman ! Je l’ai vraiment vu longer cette voie, toute sale avec une signature dans la main
-Va t’habiller pour qu’on aille au centre.
-Non maman pas question ! Il faut que je fasse quelque chose. Mes rêves se réalisent toujours et tu vois bien que celui-ci est de mauvais goût ; j’ai entendu dire que pour interdire à un rêve de se réaliser, il faut la raconter à plusieurs personnes avec tous les détails. Maman dis le leur…Dis aux voisins ce qui est arrivé à Melissa. Tout ce qui vit, SOS sauvons Mélissa.
Belkis HOUNKANRIN