Bonjour les gourmets livresques. Je vous emmène aujourd’hui faire un tour en Algérie, avec Kamel Daoud et son roman « Meursault contre-enquête ».
L’ouvrage est paru dans un premier temps en 2013 aux éditions Barzakh en Algérie et par la suite en mai 2014 chez Actes Sud en France. Il reçoit le prix Goncourt du premier roman en 2015. C’est après cette distinction que j’ai entendu parler du roman, moi qui ne suis pas indifférent aux prix littéraires !
Pour mieux apprécier « Meursault contre-enquête », il est bon d’avoir lu « L’étranger » de Albert Camus. Dans ce roman paru en 1942 et dont l’action se déroule dans l’Algérie sous colonisation française, Meursault est condamné à mort pour avoir tué un Arabe sur une plage d’Alger. L’histoire est écrite par le meurtrier en personne !
Plus d’un demi-siècle plus tard, le frère de cet Arabe anonyme raconte à un touriste venu de Paris comment ce meurtre a marqué sa famille et bouleversé sa vie. Soir après soir dans un bar d’Oran, il relate dans un savant bavardage, une autre version de L’étranger, une suite peut-être. Son récit est d’abord un devoir de mémoire envers son frère.
C’est ainsi qu’il donne un nom à l’Arabe dont parle le meurtrier-narrateur Meursault sans jamais le nommer « Le mot Arabe y est cité vingt-cinq fois et pas un seul prénom, pas une seul fois » dit-il à propos de l’étranger.
Il dénonce ainsi l’indifférence du meurtrier envers sa victime. Mais aussi sans doute une sorte de racisme. « Comment peut on tuer quelqu’un et lui ravir jusqu’à sa mort ? » s’indigne t-il en révélant le nom de son frère MOUSSA.
Meursault a tué Moussa et a été exécuté pour cela mais le narrateur et sa mère sont traumatisés pour la vie.
Le récit se fait dans un bar et le style se rapproche un peu de « Mémoires de porc-épic », célébration de la parole. Plus que chez Alain Mabanckou où la parole libère de la peur de la mort, ici la parole du vieillard libère, ressuscite de la mort. Moussa a enfin une biographie.
Par ailleurs, le bar est aussi un lieu de liberté d’expression. L’occasion pour le vieillard, en parfait athée de jeter un regard assez sévère sur la société algérienne. Il dénonce précisément la montée en force d’un islam radical qui ferme les bars et empêche les amoureux de marcher publiquement main dans la main.
La parole, moyen de vengeance aussi contre sa propre mère qui l’a obligé à garder le deuil de Moussa toute sa vie durant. Ceci ayant eu sur lui des conséquences graves : l’assassinat d’un français pour venger Moussa, la solitude, son incapacité à avoir des relations amoureuses durables et enfin la plongée dans l’alcoolisme…
« Meursault contre-enquête »est un roman dé-li-cieux. Je l’ai lu en 2016 et il figurait dans le top 3 de mes lectures cette année –là.
Il s’agit d’un bavardage mais un de ceux que l’on aime ! C’est un discours savamment prononcé avec des pauses assez fréquentes permettant au lecteur de reprendre son souffle et pourquoi pas de jeter un coup d’œil à « L’étranger » de Albert Camus.
Ce roman montre à quel point l’homme peut être victime de son passé et ainsi passer à coté de sa propre vie.
Kamel Daoud est un génie. Il faut que vous le lisiez.
Désiré Godonou