Je ne suis pas rancunier monsieur le commissaire. Mais il est des choses qu’on oublie difficilement. Trente-deux ans après les faits, j’ai réussi ma vie comme on dit. J’ai femmes et enfants. Je suis ministre de la Justice et des Doigts de la Femme. J’ai une position enviable et enviée dans la société. Mais certaines nuits, je me réveille tout en sueurs, criant : qui a volé mon pâté ?
Cela s’est passé il y a trente-deux ans monsieur le commissaire au cours primaire Kpétèkpa. J’étais en classe de CE1. Et nous étions 70 dans la classe.
Allez-y vous pouvez rire. Mais les faits ne sont pas prescrits. Je suis ministre de la Justice. J’exige une enquête pour savoir qui ce jour-là, un mercredi, a volé mon pâté alors que j’étais allé pisser.
J’en ai été beaucoup traumatisé. C’était un pâté spécial votre honneur. Euh votre commissariat. Pardon, monsieur le poulet. Ah, qu’est ce que je raconte ? Je délire. C’est ce pâté.
J’avais volé l’argent dans la poche de mon père, un instituteur comme on n’en fait plus. 10 francs de l’époque ! Heu… Ne notez pas ça !
Vous voulez que je fasse la Une du Déchaîné du Jeudi ? Ils écriraient : « De voleur de 10 francs à Ministre de la Justice» , « Le pâté ministériel », « Le sinistre pâté », « A la recherche du pâté perdu ». Vous les connaissez ! Ils n’épargnent personne ces gens-là. Ils ne manquent pas de mauvais humour. La presse oppresse et déchainés, les canards deviennent des canailles ! J’ai lu ça dans un numéro du Déchaîné du Jeudi…
Oh tendre pâté, qui t’a arraché à l’affection de mon appareil digestif ? Mes molaires étaient prêtes. J’ai encore dans le nez ton odeur. Un beau pâté de collection, comme seule Maman Béa savait en frire. Elle éventrait le pâté par le milieu et introduisait un peu de jus. Ah, rien que d’en parler, de l’eau m’en vient à a bouche.
On était soixante-dix dans la salle, monsieur le commissaire. On s’asseyait sur des bouts de bois, nous les bouts d’hommes ! Qui soupçonner ? Ce jour, là, j’avais posé le pâté dans mon casier et je suis allé pisser. Je pensais le manger en douce pendant la leçon de civisme.
Je suis sorti. Je suis revenu. Et il n’était plus là. Le maitre m’a battu quand je me suis plaint. Il m’a puni pour avoir apporté à manger dans la salle de classe. Et quand je suis rentré, mon papa s’est occupé de moi… Dix francs…J’ai encore sur les fesses, une trace de ces coups. Mes diablotins de camardes ont rigolé ! Quand je pense que le ou les voleurs se trouvaient au milieu d’eux !
Le pâté est un met qui se mange chaud. J’en ai été empêché. Voici, je vais manger froid et entier le plat de la vengeance. J’ai été doublement puni pour un pâté que je n’ai pas dégusté !
Vous comprenez ma situation, c’est un désir de justice ! Cela n’a pas été facile monsieur le commissaire. Mais j’ai retrouvé plus de trente ans après les faits, la liste de mes soixante-neuf camarades de classe. Tous sont encore vivants ! Certains sont de l’opposition politique… Mais restez professionnel. Faites votre travail. Allez-y !
…
Quoi ? Pourquoi me regardez-vous comme ça ? Je dois vous graisser la patte ? Je suis ministre du gouvernement ne l’oubliez pas ! Sortez de mon bureau ! Allez découvrir le voleur du pâté. Il va entendre son nom en conseil des ministres !
Désy Ray.
( Voulez-vous une suite à cette historiette ?)