La rumeur n’est pas sérieuse. Elle vous trouve toujours quelque chose. Elle pourrait vous faire avaler que vous n’avez plus de dent alors que vous êtes en train de mastiquer du maïs grillé. La rumeur, il faut se méfier d’elle, toujours et en tout temps. Car, donnez-lui une femme et elle en fera un homme, donnez-lui une injure et elle en fera une louange.
Le Président a changé, il y a trois jours, son gouvernement. Il a dissout le gouvernement. (Dans une grande bassine de rage, disent les mauvaises langues au quartier.) Mais je ne vous informe pas. Vous le savez déjà. Mais ce que vous ne savez pas et que moi je sais, enfin, ce n’est pas moi qui sais, mais je connais quelqu’un qui certainement connait quelqu’un qui sait. Vous savez ce qu’on dit au quartier : « On est riche de ses amitiés et connaissances. »
Donc je disais que ce que je sais et que vous ne savez pas est le « Pourquoi ? » accompagné de son cousin « Comment ? » de ce remaniement du gouvernement par le prégo. Oui, vous ne savez pas tout. En tout cas, les gens ne vous ont pas tout dit. Vous ne savez pas comment on en est arrivé là. Mais, je le sais maintenant. En tout cas, j’ai été à la source. Dame rumeur le sait. Elle sait comment et pourquoi le prégo a pris son arrache-clou, que dis-je ?… sa gomme pour abattre des noms de son arbre gouvernemental.
Il paraît que tout a commencé à cette récréation ministérielle, pardon, à ce conseil des ministres. Il paraît que personne ne sait quel moustique a piqué le Président, mais tout le monde l’a vu se lever. Il paraît que tout le monde a vu la silhouette présidentielle, agitée par, on dirait, un vent bacchusien, se dresser. Il paraît que tout le monde a vu la main présidentielle entrer en contact avec la joue gauche d’un voisin. Personne, à ce conseil, n’a eu besoin de ralenti pour reconnaître que c’était une gifle qu’on venait de prescrire. Le propriétaire de la joue réceptrice de la gifle présidentielle est, ni plus ni moins, le Premier Ministre.
Mais comme on le dit, un grand n’est pas un petit, et un petit peut devenir grand. Et surtout, on n’est pas Premier-ministre-de-rien (comme on l’appelle au quartier) pour rien jusqu’à se laisser infliger une torgnole de la part de quelqu’un qui a une tempête dans les voiles, surtout quand dans le public ministériel qui assistait à ce spectacle, à cet exploit éthylique et « foliétique » (terme d’un académicien du quartier), il y a les maîtresses, les institutrices et les directrices du bras présidentiel, auteur de cet affront.
En observant, de là où IL se trouvait, ce qui a suivi la gifle présidentielle ce jour-là, ce bien-malin-de-son-père, engendré-mais-non-pas-créé, n’aurait rien trouvé à dire. Il n’aurait même pas crié à la violation de son principe sacro-saint : « Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends lui la joue gauche ». Il aurait tout simplement craché : « O mon Dieu de Père ! Quelle réplique ! »
Il paraît que, ce jour-là, le Premier Ministre n’a pas eu froid aux yeux. Il paraît que le Premier Ministre, affectueusement appelé aussi Premier ministre de rien – parce qu’il ne gérerait rien -, ne s’est pas comporté comme ce fameux Don Diègue qui, après avoir reçu un soufflet de rien du tout, de la part d’un tout aussi croulant que lui, était allé pleurnicher dans les bras de son fils, quémandant son cœur – son courage – pour essuyer cet affront. Il paraît que le Premier Ministre n’est même pas allé consulter le bokonon de son village, qu’il s’est juste remis à son bras actionné par une tête qui, selon ce qui se dit, serait mieux faite que celle que porte le bras présidentiel. Il paraît que le Premier-ministre-de-rien a pris feu et a roulé une belle pelle de gifle, taillée dans le style kpèdaah-tchéton (Selon l’expertise d’un Soweto du quartier : c’est un coup porté latéralement qui part du dos).
Je ne vous dis pas. La rumeur n’est pas sérieuse. Elle vous invente des choses pas possibles. Il paraît que, ce jour-là, la joue présidentielle n’a rien vu venir. Les yeux présidentiels n’y ont vu que du feu. Ils ont bu du rouge. Il paraît qu’à voir les jambes présidentielles ce jour-là, on aurait dit qu’elles ont bu du tremblimissiline ou qu’elles se sont souvenues des nombreux verres de scotch, de whisky, de vin enfouis dans leur système depuis des années. Il paraît que, à voir les effets de la gifle premier-ministérielle sur l’architecture présidentielle, on aurait dit que le Premier Ministre portait un de ces tilas[1] que vendent les babas[2] de von en von, de maison en maison qui ont la fâcheuse réputation de quintupler et même de centupler la force de celui qui le porte, et d’envoyer K.-O. tout adversaire, même Goliath. David aurait eu un de ces tilas qu’il n’aurait pas perdu assez de temps à actionner son fameux lance-pierre. Avec un de ces tilas attaché à son avant-bras, à sa hanche ou caché sous son caleçon, il aurait en quelques seconde envoyé Goliath rouler hors d’Israël rien qu’en touchant son ventre avec son plus petit doigt.
Il paraît que ce jour-là, le Premier ministre-de-rien n’a pas raté le prégo. Il a limé la dent au prégo avec une gifle digne de Lancelot, de Roland et de Soundiata Kéita. Il paraît que ce dernier a un cheval redoutable et que, tout petit, il a déraciné à lui tout seul un arbre. Il paraît aussi que le Roland, lui, sonne du cor comme personne ne sait et ne saura le faire mieux, et que son épée durendalienne, il faut, à part lui, deux milles personnes pour la soulever. Quant au Lancelot, il paraît qu’il a le code qu’il faut pour passer sur un pont qui a la largeur d’une lame de couteau.
Donc, je disais que le président aurait pu avoir une zen-attitude, ce jour-là. Il aurait pu exercer un self-control sur lui-même. Il n’aurait pas dû laisser libre cours à son instinct grégaire. Il n’aurait pas dû croire qu’il est le seul à détenir le secret de la gifle et de l’audace. Parce que, ce jour-là, il a rencontré garçon sur son chemin. Il paraît que le Premier-ministre-de-rien lui a montré ce jour-là que s’il a lui, le prégo, la combinaison secrète pour monter des gouvernements farfelus, des décisions idiotes et des limogeages à tous vents, lui le Premier ministre par contre, il a l’algorithme de la gifle mémorable, obélixienne ou astérixienne.
Il paraît que la gifle premier ministérielle était imparable, elle était du premier ordre comme le rang de monsieur le ministre. Il paraît que la gifle a été lumineuse, avec une vitesse de l’éclair. Il paraît que quelques secondes – cinq seulement – après le « kpa ! » de la gifle présidentielle, on a entendu un assourdissant et décapant « vaa ! » produit par la gifle premier-ministérielle. Il paraît que les autres yeux du conseil ministériel n’ont rien compris. Ils ont même cru un instant que c’était un jeu entre le prégo et son premier ministre de rien, parce qu’ils ont été des amis avant de se retrouver à la tête de notre village-national. Mais il paraît que ces yeux se sont très vite ravisés, et ont compris que c’était du sérieux, que les deux anciens bons amis – futurs bons ennemis – n’étaient pas en train de jouer à un jeu qu’ils jouaient quand ils étaient encore tout petits : le touche-moi-je-te-touche. Ils ont très vite compris que ce n’était pas du toc, que ce n’était pas de la télé-réalité mais que c’était du vrai, du lourd. Il paraît même que certains ont même voulu demander un ralenti, tellement les choses sont allées très vite.
Il paraît que sous le « Vaa ! » de la gifle premier ministérielle que le prégo a valsé, qu’il a tangué, qu’il a jerké, qu’il a fait un puis deux pas de Makossa, qu’il a esquissé même des pas du noudjiou-écriture, qu’il a tourbillonné comme un danseur de Zinli, qu’il a même coupé et décalé, qu’il a fait un jeu de jambe, qu’il a, ensuite, tenté de bloquer (à la Patson) avant d’aller s’affaler « vimm ! » dans le fauteuil de la ministre chargé du sexe féminin, de tous ses attributs et problèmes. Il paraît que madame le ministre n’a pas eu le temps même de quitter son fauteuil avant que le poids présidentiel ne vienne crasher sur elle. Il paraît aussi que la ministre ne s’était même pas sentie écrasée par le poids qui lui est tombé dessus. Il paraît qu’elle était déjà habituée à accueillir ce poids dans le secret des chambres d’hôtel, lors des missions.
Donc, je disais que le prégo s’était crashé sur madame le ministre. Il était tout groogy. Il avait été vaincu par K-O, comme sa dernière prouesse électorale. Il paraît que le prégo en atterrissant dans le fauteuil de madame la ministre avait plongé son nez et sa bouche dans la dépression qui sépare les deux importants reliefs de la poitrine de madame le ministre, qui était dans son plus beau et voyant décolleté. Il paraît que cet atterrissage, un peu spécial, a arraché, à madame le ministre, un succulent « Ô Dieu du Ciel ! » accompagné des battements de paupières et d’un révulsement des yeux, puis elle serait tombée dans les mangues.
Il paraît qu’après avoir atterri ainsi, le prégo se serait mis à ronfler tout de suite après. Il paraît que c’était ainsi que le conseil ministériel prit fin. Les autres ministres s’étaient furtivement glissés hors de la salle du conseil pour ne pas avoir à subir la foudre présidentielle à son réveil. Il paraît que tous les autres ministres étaient sortis sauf le Premier Ministre détenteur de la gifle mégatonnique et giga-sismique. Il paraît qu’il se serait assis tranquillement – pas pour voir le roupillement prégodentiel. Mais il était resté là pour rédiger une lettre enflammée de débarquement du rafiot gouvernemental.
Il paraît que le prégo après s’être réveillé a réglé les comptes jambes-en-l’air-tique à la veinarde de ministre pour lui avoir servi de terrain de crash. Et qu’ensuite le prégo serait tombé sur la lettre kamikaze de son ex-premier ministre-de-rien qui aurait pour titre: Ce que je crois ! Il paraît qu’après avoir lu la lettre, le prégo aurait pris feu et aurait hurlé : « Mais pour qui se prend-il, le petit ? Il pense me le jouer six en one[3] comme ça ? Non non et non ! Il a tiré dans l’Okpara[4]. Je suis le distributeur des cartes. Il ne peut pas démissionner. C’est moi qui dois le renvoyer. C’est moi ! C’est moi ! Je balaie le gouvernement aujourd’hui même. »
Eh, la rumeur ! A la suivre, tu finiras par vendre tes jambes pour marcher sur les rotules. En tout cas, je retourne à mon verre. Comme on le dit au quartier : « Le verre ne ment jamais ! »
Pelphide TOKPO
Inspiré d’une rumeur de 2013
[1] Amulette
[2] Vendeurs ambulants
[3] Rouler
[4] Fleuve méridional du Bénin : Il se trompe.