
« Une femme à deux maris », c’est le recueil de deux pièces de théâtre que nous offre Cosme OROU LOGOUMA, jeune auteur dramaturge au talent certain. Plus encore que cette première de couverture aux couleurs attrayantes et multiples représentant une femme vêtue d’habits traditionnels et parée de ses plus beaux bijoux, l’auteur nous invite à travers ses deux pièces, à un voyage dans l’histoire du célèbre royaume de Nikki, mais aussi dans les arcanes de la politique politicienne qui mine nombre de pays africains et donc y compris notre pays le Bénin.
« Une femme à deux maris », la première pièce qui donne son titre au recueil, présente quatre carrefours. Des actes à travers lesquels le lecteur passe de la surprise à l’étonnement, du doute à la désillusion, pour finir par tomber des nues. En effet, dans nos sociétés où la polygamie demeure seule admise, il est impensable, voire inconcevable qu’une femme s’arroge le droit de posséder deux maris. Et pourtant l’auteur s’y risque avec une discrète aisance.
Une polyandre au Bénin qui plus est au cœur du royaume célèbre de Nikki ? Voilà qui suscite de multiples interrogations et pousse le lecteur à partir à la découverte de cette pièce qui met en scène quatre personnages aux tempéraments divers et variés mais tellement réalistes ! Ahovi, la princesse Fon intelligente et traitresse, Lafia traditionaliste et déterminé, Tamou l’amoureux transit, tous deux princes Bariba issus de deux branches dynastiques différentes, et une voix, celle du Balazon, le griot, mémoire de l’histoire et de la civilisation baatonu. Ahovi est l’épouse du Prince Lafia depuis 15 années. Le prince Tamou cousin de Lafia, rêve d’occuper le trône royal laissé vacant depuis la mort du Roi. Sur son chemin se dresse pour la seconde fois, le prince Lafia lui aussi prétendant au trône de Nikki, lui, qu’avait préféré Ahovi au détriment de Tamou.
A travers cette rivalité, l’auteur retrace et peint avec brio l’histoire du royaume de Nikki, et surtout le mode de succession au trône ; non pas tel que nous le connaissions jusqu’alors. Et c’est là toute la valeur et la dimension nouvelle que revêt cette pièce. L’auteur s’est aussi intéressé à la langue dans lesquelles se pratiquent les rites et rituels dans ce royaume… et il ne s’agit pas de la langue Baatonu, mais le Boo. Si le royaume de Nikki est considéré et réputé bariba, pourquoi ces rites et rituels majeurs se font dans une autre langue, celle Boo ? Quelle est alors la place des Boos dans l’histoire de Nikki ? Des interrogations auxquelles le lecteur trouvera réponse au bout du dernier carrefour, acte final dans lequel les deux princes rivaux, Lafia et Tamou, face à la traitrise de Ahovi, mettront de côté cette vieille rivalité pour se donner la main, pour sauver le plus important, le royaume, non sans nous rappeler qu’il n’y a pas cinq dynasties à Nikki comme on nous l’a toujours enseigné à l’école, mais bien une seule. Comment ? Il faut le découvrir dans les pages de cette belle pièce au bout de laquelle le lecteur regrette presque que ce soit déjà fini… A la suite de la première pièce historique qui suscitera débats, la deuxième pièce de ce recueil, « Otages », s’attaque aux manigances politiciennes, à tous ces maux qui minent et rythment le pouvoir. Ici c’est Wowoué qui à l’image du peuple, est pris en otage, par Dado. Au nom de l’amour qu’elle lui éprouve, elle veut le posséder. Mais à l’instar de nos politiciens qui tiennent des discours mielleux pour endormir le peuple, Dado cache un dessein inavoué et une fin tragique à son amoureux. Avec pour trame de fond l’amour, l’auteur présente à travers ce recueil, deux pièces distinctes et pourtant si complémentaires, deux tableaux, pans de notre société béninoise. A nous de les lires, les découvrir et les interpréter. Nul doute, cela fera couler encre et salive.
Modeste Gansou Wéwé, Écrivain